Black man

GW

 En décembre 2008, j’ai publié aux arènes un livre intitulé Le Cabinet noir...

 En décembre 2008, j’ai publié aux arènes un livre intitulé Le Cabinet noir

(…)

J’y racontais la manière dont je m’étais retrouvé au milieu de drôles d’affaires comme éditeur. Affaires qui, souvent, m’avaient conduit sur la trace d’un certain Yves Bertrand, ancien patron des Renseignements Généraux . Au cours de ces années, il m’est arrivé de faire des rencontres inattendues voire surprenantes. L’une des plus incroyables fut celle de Gerard Willing.

Hier je vous invitais à prendre connaissance des derniers rebondissements de l’actualité le concernant. Sans nouvelle de lui depuis plusieurs années, c’est par Le Monde, la semaine dernière que j’ai eu de ses « nouvelles »…

Comme l’affaire de Karachi me touche au plus haut point, depuis que j’ai publié le livre important de Magali Drouet et Sandrine Leclerc, ce que j’ai lu m’a stupéfié.

J’ai donc décidé de publier ici le portrait de Gerard qui figurait dans mon Cabinet noir.

À suivre… Ou pas.

24. Black man.

C’est la rentrée. Septembre 2005. Je reçois un appel de Guillaume Dasquié.

Guillaume est l’un des auteurs avec qui j’ai travaillé régulièrement chez Denoël et Privé. Spécialiste du renseignement, il est notamment l’auteur de deux solides livres sur al Quaida.

Au bout du fil, il semble ennuyé, et veut me voir.
La suite est digne du trailer d’un épisode de la série « 24 heures ».
Guillaume est embarrassé, des « gens » lui disent que j’ai mis le nez dans une affaire qui ne sentirait pas bon. Des « gens de haut niveau ». C’est la première fois, d’ailleurs, qu’il entend mon nom cité « à ce niveau-là ».

Je m’étonne.

De quoi s’agit-il ?
« Clearstream ».
Je marque un temps d’arrêt.

Je n’ai jamais encore travaillé sur cette affaire. Aucun des auteurs de Privé n’a de projet concernant ce dossier que Denis Robert laboure depuis des années (je n’ai pas vraiment suffisamment bien lu ses deux gros bouquin parus en 2001 et 2002 pour comprendre l’affaire).

Non vraiment je ne vois pas.

-C’est bizarre, parce que le bruit est insistant.

Guillaume me fait comprendre gentiment qu’il y a le feu.

-Sais tu ce qu’est un black man ?

Nous sommes à la terrasse d’un café du boulevard Saint-Germain et Guillaume me regarde dans les yeux, mâchoires serrées, insistant. Cette question me prend à froid. Elle résonnera je crois dans ma tête encore pas mal de temps…

Guillaume vient de me faire basculer quelque part entre Tommy Lee Jones dans les « Men in Black » et Sydney Bristow (Jennifer Garner), l’héroïne de la série «Alias ».
Tout ce que j’aime, au cinéma… Mais là, je sens déjà que je vais moins aimer. Non, les black men, je ne connais pas. Pas du tout.
Dasquié m’explique.

-Dans les milieux des affaires, de la politique, du renseignement, à très haut niveau, il y a une dizaine de types de ce genre dans le monde.

– Une dizaine. Ces types arrangent les problèmes. Il y a un problème ? Ils ont la solution. Je connais bien l’un de ces black men et il m’a parlé de toi avec insistance. Il m’a questionné. D’après lui, tu serais en train de déconner. Je lui ai dit que cela m’étonnerait que tu sois mêlé à quoi que ce soit. Mais bon, il vaudrait mieux que tu le vois quand même. Pour qu’il t’explique. Ou plutôt que tu t’ ‘expliques…

L’homme passe sa vie en voyage dans le monde entier à traiter des dossiers ou à remplir des missions, mais il doit passer bientôt par la France.

«C’est une aubaine, m’assure Guillaume. Nous allons pouvoir évoquer ensemble ce qui ne va pas».

Un rendez-vous est pris une première fois. Il sera décalé. Nous allons finalement déjeuner tous les trois, chez Guillaume, le 12 octobre 2005.

J’arrive en avance. Encore. Je tourne en rond dans son quartier piétonnier.
Je suis serein mais un peu tendu quand même. Guillaume est relax.
On sonne. C’est donc Gerard Willing. Il a la cinquantaine passée et ne ressemble malheureusement pas à Sydney Bristow. Ni à Tommy Lee Jones. Encore moins à Jack Bauer.

Sec. Un peu dégarni. Une bizarre casquette. Un jean élimé.

Il n’y a pas d’entrée en matière. Il s’assoit à côté de moi sur le canapé de Guillaume, dans son salon très zen. Guillaume reste un peu à l’écart. Willing pose sur la table un document qu’il me présente comme l’un des listings du corbeau de Clearstream. Je ne sais pas bien s’il est arrivé avec sous le bras ou bien si Guillaume l’a sorti de l’un de ses tiroirs « magiques ».

C’est la première fois que je vois ce document « en vrai ».

Gerard Willing commence à l’analyser et me montre des listes de noms propres. Et des numéros de comptes en face. Des noms que je connais. Un premier : Philippe Delmas. Une seconde entrée : une filiale d’Euro-RSCG.

Voilà, m’explique Gerard Willing :

-« On » me dit que vous travaillez dans cette affaire pour et avec Philippe Delmas et Stéphane Fouks (le patron d’Euro-RSCG). De l’argent, beaucoup d’argent, transite pour eux, via votre maison d’édition, Privé.

Gerard de me faire comprendre qu’en fait, il pense que je suis impliqué dans cette histoire de manipulation à grande échelle. Je ne comprends pas bien comment, mais ça n’est pas très grave… Il m’assure que par ailleurs, je ferais aussi partie de ceux qui voudraient l’impliquer lui, à tort, dans l’affaire.

Je suis estomaqué.

D’abord, lui, je ne le connais pas.

Donc, je me vois mal le mouiller dans une embrouille à laquelle je ne comprends rien.

Ensuite, je connais effectivement bien les deux personnes dont il me parle.

Philippe Delmas d’abord. Je l’ai rencontré en 1993, mais je ne l’ai plus revu depuis au moins deux ou trois ans. Delmas est le pire ennemi de Jean-Louis Gergorin après avoir été son adjoint et le parrain d’une de ses filles. C’est une grosse tête. L’ancien vice-président d’Airbus.

Le 7 mai 2004, quelques jours après la réception d’une lettre anonyme envoyée par le corbeau, le juge Van Ruymbeke a fait interpeller Philippe Delmas alors qu’il se trouvait à Toulouse où il avait assisté à la présentation de l’Airbus A380. Placé en garde à vue, Delmas s’est vu confisquer son portable et son appartement parisien a été perquisitionné.

À l’issue de sa garde à vue, aucune mise en examen ne lui a été signifiée.

Quelques mois plus tard, Renaud Van Ruymbeke lui a restitué divers objets saisis et l’a innocenté complètement. Delmas a depuis porté plainte pour dénonciation calomnieuse.
Quant à Stéphane Fouks, c’est le grand patron de ma compagne, mais aussi mon vieux pote de fac. Nous nous connaissons depuis les années 80 et nous voyons deux ou trois fois par an. Mais pas vraiment pour échanger des valises de billets !

Le point commun entre les deux : Fouks et Delmas sont très proches et Euro-RSCG conseille Airbus Mais je n’ai rien à voir avec cela.

J’explique brièvement à Gerard Willing à quel point tout cela me semble ridicule. Je lui propose de se balader sur le compte des éditions Privé pour vérifier, ou même sur le mien s’il le souhaite.

Je lui fais comprendre fortement que, vraiment, si c’est cela l’histoire qui l’amène, elle est juste nulle et ses tuyaux percés.

Quant à ses sources…

Je dois être convaincant  – l’indignation sans doute – parce que Gerard, informé sur le bout des doigts sur mon CV, qui me déroule mon pedigree au millimètre, a l’air de piger rapidement que quelque chose ne tourne plus rond dans son scénario.

Guillaume réapparaît enfin de sa petite cuisine.

-Madame est servie !

Je m’enhardis et, ayant réfléchi pendant tous les hors d’œuvres, je lance une perche à Willing. Il est venu me voir parce que quelqu’un lui a expliqué que je trempais dans cette affaire et que je pouvais lui ou leur faire courir un risque, si je racontais ce que je sais.

Il ne me dément pas.

Je vais donc lui expliquer le seul maigre lien qui, à ma connaissance, peut me relier au dossier Clearstream.

Et devant un Guillaume assez étonné je déroule à Gérard toute l’histoire que vous connaissez désormais : depuis la rencontre avec Yves Bertrand en mai 2004 jusqu’à la discussion dans le bureau de Nicolas Sarkozy en février 2005 où le président de l’UMP m’explique les ressorts de la manip. montée contre lui.

Après m’avoir écouté Gérard reprend la parole. Il est cette fois « définitivement convaincu » de ma bonne foi. « On » l’a vraisemblablement mobilisé pour m’effrayer. Mais sa ou ses sources l’ont manipulé.
Où alors ces sources l’ont induit en erreur à mon sujet parce qu’elles-mêmes avaient été manipulées précédemment par d’autres.

Deux bandes.

Ou trois.

Lui semble voir pourquoi. Par qui. Comment.

Moi pas du tout.

Mais l’essentiel après tout n’est-il pas que nous nous quittions bons amis ? Le déjeuner désormais détendu et passionnant se poursuit jusqu’à 15h45 environ.

Je découvre des bribes de l’incroyable vie de cet agent qui derrière les couvertures du lobbying et de l’intelligence économique démêle au quotidien des affaires entre services ou des conflits vérolés entre patrons du CAC 40.

Un jour aux côtés de l’un. Une autre fois dans le camp d’en face. Une sorte de mercenaire international. Gerard Willing a son rond de serviette chez de nombreux patrons de services secrets du monde entier. Guillaume me le confirmera. Pas un mythomane du tout.
A côté de ses fréquentation du gratin des 00 quelquechose j’ai vraiment l’air malin, moi, avec les pieds nickelés qui me collent au train depuis 2002 !
Comment quelqu’un a-t-il pu déranger un mec pareil pour moi ?

Et, surtout, comment a-t-il pensé nécessaire de se déplacer  ?

Par un complexe jeu de dominos, quelqu’un m’a m’envoyé Gérard dans les pattes.
Pour me « tamponner ».
Me foutre la trouille en bon français.

25 « Le coupable idéal ».


Lorsque je fouille dans mes petits carnets (eh oui, moi aussi, je note tout…), c’est au 11 juillet 2006 que je retrouve la trace de ma première rencontre avec Imad Lahoud, l’un des suspects de l’affaire Clearstream. C’était dans le rutilant cabinet de son avocat Olivier Pardo, avenue de Wagram.

Depuis six mois, Imad Lahoud, ancien trader, marié à la fille de François Heilbronner, mis en cause dans la chute d’un fonds d’investissement, est au cœur du maelström judiciaire. Jean-Louis Gergorin a longtemps affirmé que les faux listings lui avaient été fournis par une mystérieuse « source »… Imad Lahoud, selon lui, qu’il avait fait engager à EADS et avec lequel il était en contact quasi permanent.

Alors que le présumé corbeau est devenu un bavard impénitent et a multiplié les déclarations contradictoires dans la presse, Imad Lahoud est resté silencieux, se contentant de proclamer devant les juges qu’il n’était pour rien dans cette affaire.

Colette – c’est un pseudonyme – m’a appelé quelques semaines plus tôt. Elle m’a demandé si je ne pensais pas que ce serait « un sacré bon coup » de proposer à Imad Lahoud, l’informaticien mystérieux, l’homme accusé d’être le falsificateur des listings, de raconter sa version de l’affaire Clearstream.

Elle se propose donc d’organiser un rendez-vous avec son avocat, justement un vieil ami à elle. Le genre de rencontres qui ne se refusent pas. Surtout lorsque l’on est un éditeur indépendant, déjà aux abois après deux ans d’existence, à l’affût du moindre bon coup pouvant booster les ventes.

Lorsque j’arrive ce jour-là, Lahoud m’attend. Silencieux, il me regarde en coin. Puis, il commence par me tester, en me demandant ce que je connaissais de l’affaire Clearstream. Je lui expose mes médiocres connaissances. Et mon incompréhension de ce gigantesque Barnum politico-financier…
Je pige rapidement que son problème est d’abord d’ordre économique. Il lui faut d’urgence trouver une confortable somme d’argent lui permettant de payer la caution lui évitant la prison, soit 40 000 euros. D’où l’idée d’écrire un livre et d’obtenir une bonne avance.
Un premier éditeur l’a éconduit, ne voulant pas sortir tant d’argent.
Voyant une opportunité sérieuse de faire un coup éditorial à la veille de la présidentielle, je décide d’y aller. Après en avoir discuté et obtenu l’accord de mon associé, Michel Lafon, nous signons un contrat.
Je trouve un excellent journaliste pour « accoucher » Lahoud qui l’adopte rapidement.

Nous mettons au point entre nous un système de communication sophistiqué. L’une de mes collaboratrices, Marion, d’origine libanaise, fixe dans leur langue les rendez-vous entre Lahoud et son « nègre ».

Tous les messages que je veux lui faire passer transitaient par ce même canal sécurisé. Nous ne communiquons qu’en libanais par l’intermédiaire de Marion (et dans un dialecte apparemment particulier) ; le tout de manière à déjouer la surveillance probable de sa ligne téléphonique. Et des nôtres.

La plupart du temps, notre journaliste va travailler au domicile de Lahoud.
Je suis assez fier de la belle discrétion de ma « petite affaire »… Jusqu’au jour où le journaliste m’explique qu’il a croisé, à deux rues de chez Lahoud, un officier des renseignements généraux de sa connaissance, qui lui a demandé, un sourire aux lèvres, si « tout se passe bien »…

Autant dire que nos ruses de sioux n’ont trompé personne !
Après plusieurs mois de travail, une version satisfaisante et vivante est remise à Lahoud, qui la corrige à sa sauce. Un certain nombre d’informations et de détails précis dans son témoignage, que son nègre et moi trouvons inédits et intéressants, disparaissent par enchantement après une relecture attentive de Lahoud et de son conseil.

Mais c’est la loi du genre.

C’est son livre, sa vérité, pas LA vérité, si tant est, d’ailleurs, que quelqu’un soit capable, un jour, de la révéler dans cette affaire.

Il reste cependant des passages forts, à défaut d’être vérifiables.

Comme ceux qui montrent un Nicolas Sarkozy informé en temps réel de la cabale contre lui. Ou les pages brûlantes dans lesquelles Lahoud certifie que Nicolas Sarkozy, en personne, a fait pression sur lui lors de rendez-vous secrets, pour tenter de savoir qui est derrière la manipulation Clearstream.

Pour le reste,Jean-Louis Gergorin est l’unique cible de Lahoud. Nulle trace de cabale vraiment politique ni de cabinet noir. Juste une brochette d’acteurs du dossier (journalistes, industriels, espions, flics, politiques, juges, avocats…) qui pensent chacun, à un moment donné, qu’ils vont profiter d’une situation qui dérape pour régler de vieux comptes…

Bref, Imad Lahoud fait le récit d’une mayonnaise montée trop vite et trop fort, qui arrange tout le monde. Une version des faits évidemment personnelle, que Lahoud résume en une phrase volontairement légère qui ouvre sa conclusion : « Au bout du compte, cette histoire est un peu celle du Père Noël. Tout le monde sait qu’il n’existe pas, mais chacun voudrait quand même y croire ».

Je sais bien que la « thèse » de Lahoud n’est probablement pas tout à fait la bonne, mais je suis aveuglé par la nécessité de réussir un coup commercial pouvant permettre à Privé, en difficulté, de sortir la tête de l’eau.

Je sais aussi que Nicolas Sarkozy, candidat à la présidentielle, s’énerve de la parution de ce livre à la veille du premier tour. Mais je ne sors pas des livres pour faire plaisir à tel ou tel politique, fut-il favori de la présidentielle. Je l’avais déjà montré avec Arnaud Montebourg ou Éric Halphen chargeant Chirac avant la présidentielle 2002.

Surtout, un éditeur n’est pas toujours d’accord, voire raccord, avec tous les auteurs qu’il publie dans l’année.

Bref je suis relativement serein…

Relativement…

En fait, plus l’échéance de la parution se rapproche plus des clignotants s’allument au rouge autour de moi. Notamment quelques articles bien informés qui évoquent des rencontres régulières entre Imad Lahoud et Brigitte Henri, une commissaire des renseignements généraux de haut vol, très discrète et très efficace, elle-même très proche – devinez ? – d’Yves Bertrand.

Je questionne évidemment Imad sur le sujet.

Pourquoi ces rendez-vous avec Brigitte Henri ? Connaît-il Yves Bertrand ? L’a-t-il rencontré ? Il me renvoie avec sa faconde toute libanaise à une histoire suffisamment incompréhensible et convaincante à la fois ; pour que j’évite d’en reparler avec lui.

Imad est un surdoué de la palabre.

Aveuglé par mes problèmes financiers et l’obligation vitale de réussir un coup, je ne veux pas comprendre que j’occulte probablement un détail d’importance…

Le livre est prêt, en passe d’être publié quelques jours avant le premier tour de l’élection. J’en trouve le titre qu’Imad adopte d’emblée : « Le coupable idéal »…

Aussi incroyable que cela apparaisse, je ne me rends pas compte à l’époque qu’il s’agit exactement du titre du fameux « livre », inspiré par Yves Bertrand, que Jean-Paul Guillaume voulait publier sur Yvan Colonna. Je le découvre en reprenant mes notes pour écrire ce livre. Mon inconscient m’a joué un tour !

Je pars à la mer pour les vacances avec le bouquin imprimé sous le bras.
C’est dans mon souvenir, le jour même de sa sortie, ou la veille, que mon éditrice, Sophie, m’appelle dans ma petite maison de Trouville. Nous venons de recevoir au bureau un avis de contrôle fiscal.

J’informe Lahoud que ça commence fort.

Alarmiste, il m’annonce en fin de journée, après avoir mené sa propre enquête, que d’après ses informations, je vais aussi subir un contrôle fiscal, mais à titre personnel… La joie !

Un peu énervé par cette perspective, je décidé d’agir. Il se trouve qu’à l’époque mon ami d’enfance est précisément ministre et en charge du budget. Je téléphone directement à Jean-François Copé pour lui demander ce qu’il pense de la coïncidence entre la sortie du livre de Lahoud et le contrôle fiscal de Privé

Il n’est pas au courant du contrôle – normal – et me garantit que personne ne lui a demandé d’en initier un. D’après lui c’est un pur hasard ; il me demande cependant de le tenir au courant tout en m’expliquant bien qu’il ne peut évidemment rien faire.

D’après lui, ce n’est pas une opération politique. Je lui demande si son prédécesseur à Bercy, Nicolas Sarkozy, a le pouvoir, de déclencher ce genre de joyeusetés.

Cela ne se peut pas me répond-il.

Je reste donc avec mes interrogations.
Et notre contrôle fiscal…

Le 22 avril, Nicolas Sarkozy écrase le premier tour de la présidentielle.

Quelques jours plus tard – les hasards de la vie…- mon associé, Michel Lafon, m’annonce dans son bureau, en mâchonnant fébrilement son cigare et en regardant ses pompes, toujours impeccablement cirées, que les éditions Privé continuent sans moi. Mes collaboratrices vont s’installer dans ses bureaux, sur l’Ile de la Jatte, à Neuilly.
Presque juste en face de l’ancien appartement des Sarkozy.

26 Gergorin piégé.

Le livre d’Imad ne se vend pas suffisamment. Le contrôle fiscal de Privé ne donne rien.

Sarkozy est élu.

Je quitte la boîte que j’ai créée.

Saqué.

Le 31 août 2007, de retour de vacances, je déjeune avec mon ami, l’avocat Patrick Klugmann, au café de Flore.

Je tourne la tête à droite. À la table juste à côté de la nôtre je vois Gerard Willing. Mon Black Man est assis là, près de nous, en train de boire un verre.

Deux ans après…

Je le salue. Nous commençons à discuter tous les trois. Puis nous convenons de nous revoir vite, Gerard et moi.

Le  3 septembre, à 9 heures, nous nous retrouvons pour prendre un petit déjeuner. Après les politesses d’usage, je demande à Gerard si je peux lui demander quelque chose. Cela tombe bien, lui aussi a justement une question pour moi. Je veux savoir pourquoi, deux ans plus tôt, il m’est si salement tombé dessus, chez Guillaume Dasquié, en me prêtant un rôle bidon dans l’affaire Clearstream.

Gerard répond et confirme mes déductions. Il a bien été orienté dans ma direction. Jean-Louis Gergorin… Convaincu  que je m’apprêtais à sortir je ne sais quelles révélations sur son rôle exact dans l’affaire Clearstream… Une affaire dont j’ignorais alors totalement le commencement du moindre développement.

Après, j’ai été rattrapé par Clearstream en décidant de publier Lahoud. Mais au moment où Gerard a déboulé dans mes pattes, je n’avais strictement aucun rapport avec ce dossier. Si ce n’est que Nicolas Sarkozy l’avait évoqué devant moi, dans son bureau de l’UMP, en février 2005.

C’est justement au sujet du livre de Lahoud que Gerard a une question pour moi. Selon lui, Lahoud a commis une erreur dans son texte. Gerard veut savoir si elle est délibérée ou involontaire.

A ce moment-là, je passe dans une autre dimension…

Imad raconte dans son livre (c’est l’une des révélations de son témoignage) que Jean-Louis Gergorin a remis des BlackBerry©, ces portables sophistiqués et protégés qui échangent des mails, à tous ses correspondants de l’opération Clearstream, afin de communiquer entre eux en circuit fermé.

Ces téléphones portent tous des noms de villes (Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Londres, Madrid, Moscou, Munich, Paris, Toulouse, Varsovie).

Eh bien, me raconte Willing, Imad se serait trompé sur le possesseur de l’un de ces BlackBerry©. Celui qui était appelé Munich, c’est en effet lui, Gerard, qui le détenait…

Alors qu’Imad l’a attribué dans le livre au juge Renaud Van Ruymbeke.

Je tombe à la renverse. Gerard fait partie du réseau Gergorin. Je ne comprends absolument plus rien. Gerard veut savoir si Imad s’est trompé ou s’il l’a fait exprès.

Black man m’explique qu’il connaît Gergorin depuis très longtemps et qu’il a accompli des « missions » pour lui. De retour de l’une d’entre-elles, aux Etats-Unis, les deux hommes ont eu une discussion. Cela se passait vers la fin 2003. Jean-Louis Gergorin aurait demandé à Gerard de lui donner les noms de spécialistes des circuits financiers, capables de blanchir des sommes importantes… Méfiant ou précautionneux, pour pouvoir suivre les utilisations de son travail, Gerard a donné deux noms dont il possédait le copyright : un nom inventé et un second nom, réel, mais avec une minuscule faute d’orthographe.

Pourquoi a-t-il fait ça ?

Quel était son objectif en abusant Gergorin ?

Je ne connais pas la réponse.

En tous cas, les deux noms sont réapparus tels quels dans les faux listings de Clearstream… C’est de cela dont Gerard veut discuter avec Lahoud. Il a été entendu sur ce sujet par la DST en 2004.  Il leur aurait alors expliqué son petit jeu. En juin 2007, les policiers en charge du dossier Clearstream l’ont auditionné sur le même thème. Mais les juges se refusent à prendre en compte ce témoignage pourtant important, qui semble accréditer la responsabilité de Jean-Louis Gergorin dans la falsification des listings, alors que sa ligne de défense a toujours été qu’il a été abusé par Imad Lahoud.

Vous pensez que j’exagère ?

Voici donc un petit article publié dans Le Point, quelques semaines après ma rencontre avec Gerard…

« C’est un témoignage passé inaperçu, et pourtant édifiant. Interrogé par la police le 15 juin, Gerard Willing, ancien journaliste devenu consultant en intelligence économique, a livré un détail qui compromet davantage Jean-Louis Gergorin dans la falsification des listings bancaires à l’origine du scandale. Il affirme avoir retrouvé sur les documents trafiqués les noms d’hommes d’affaires russes qu’il avait lui-même livrés à l’ancien vice-président d’EADS, dont il était l’un des contacts réguliers dans le monde du renseignement. «Vers la fin 2003», a-t-il raconté, Gergorin lui aurait demandé «qui étaient les gros bonnets des circuits financiers occultes qui auraient la capacité de blanchir des sommes massives». Rompu aux manipulations, Willing dit lui avoir répondu en utilisant «une technique classique»: il cita notamment à Gergorin un dénommé «Cayban», dont le nom s’écrit en réalité « çayban ». Or la même faute d’orthographe s’est retrouvée sur les listings. Autre point troublant : Willing dit avoir révélé cette coïncidence accablante à la DST dès l’été 2004. Sans conséquence… »

Revenons au petit-déjeuner du 3 septembre.

Abasourdi, je promets à Gerard que je vais demander à Imad s’il accepterait de le rencontrer.

Dès le vendredi 7 septembre, je vois donc Lahoud. Connaît-il Gerard Willing ? Immédiatement il connecte. Il ne l’a jamais croisé, mais il sait que c’est un gros poisson du renseignement, l’un des consultants les plus costauds auxquels Gergorin avait recours.

Je lui explique, comme je peux, ce que j’ai appris. Le BlackBerry© et les deux noms propres. Imad est étonné par l’erreur d’attribution du portable, mais il comprend le bénéfice qu’il peut tirer d’une telle rencontre. Rendez-vous est pris pour un déjeuner le 11 septembre… Cela ne s’invente pas !

Gerard s’est déguisé en agent secret pour l’occasion : il porte un véritable Stetson, du meilleur goût (j’ai vérifié la marque), qui me rappelle les chapeaux qu’avaient certains membres de The Specials, un groupe de Ska des années 80 ! Les premières minutes sont tendues dans le petit restau en face de chez l’avocat d’Imad. Avant de venir, il a lu la déposition de Gerard devant la police.

Il est flagrant à les observer que les deux hommes ne se connaissent effectivement pas.

Vous dire que j’ai tout compris de leurs échanges serait aussi exagéré que présomptueux ! En tous cas, je suis absolument certain que ces foutus faux noms glissés par Willing à Gergorin sont une information importante pour la compréhension de l’affaire. Voyant là une manière de montrer qu’il n’est pas le falsificateur – ou le seul falsificateur… – Lahoud décide de demander aux juges à être confronté à Gerard, en ma présence.

Là non plus je ne raconte pas de bobards…

Voici un extrait d’un papier de Mathieu Delahousse, paru dans Le Figaro, le 23 avril 2008.
« Un nouveau personnage. Il s’agit d’un témoignage délivré aux policiers en juin dernier. Un consultant du nom de Gerard Willing assurait avoir «retrouvé sur les listings une faute d’orthographe d’un nom qu’il avait donné à Jean-Louis Gergorin». Il affirmait avoir utilisé «une technique classique consistant à mal orthographier un nom pour le voir circuler après et en connaître l’origine». Me Olivier Pardo, avocat de l’informaticien Imad Lahoud, estime que ce témoignage pourrait remettre en cause les accusations portées à l’encontre de son client. Sa demande adressée hier aux juges d’Huy et Pons fait apparaître un nouveau personnage dans le feuilleton Clearstream… L’audition de l’éditeur Guy Birenbaum est en effet réclamée. Ce dernier aurait assisté en septembre dernier à un déjeuner avec Gerard Willing où le chiffre de «30 noms totalement inventés» aurait été évoqué. S’interrogeant également sur le mystérieux témoignage de Gerard Willing, l’avocat de Jean-Louis Gergorin, Me Paul-Albert Iweins, avait déjà demandé une confrontation avec son client. Il s’est vu opposer une fin de non-recevoir par les juges ».

Il est totalement faux d’écrire que pendant ce déjeuner, j’ai entendu parler de « trente noms inventés ». Seulement de deux.

C’est comme si le casting avait brutalement changé autour de moi.

Des Tontons Flingueurs du cabinet noir, je suis tombé dans un épisode de 24 heures avec ses manipulations et rebondissements en cascades.

Et je ne suis pas du tout équipé pour…

………………………………………………………………………………………..

Voilà. Nous en sommes là, aujourd’hui. Gerard tient ce tumblr. Je me demande comment tout cela va finir.  

Je me demande surtout comment une boîte de production n’a pas encore sauté sur mon bouquin pour en faire une fiction très réaliste.

Avis aux amateurs...

12 Commentaires

  1. Tiens le Guy non frelaté par Huffington Post n’est pas mort.

  2. TIens la lovely non frelatée par le mariage pour tous n’est pas morte 😉

  3. On ne les entend plus les ardents partisans du mariage gay, l’enfumage que je dénonce se concrétise: le mariage ne les intéresse pas, c’est la possibilité de fabriquer à moindre frais des choses qui font « oui ouin ouin » avec négation de leurs origines. Mais bon le petit blanc bobo de Paris est fun, il s’habille comme un homo, se coiffe comme un homo, porte les mêmes lunettes que les homos, les mêmes baskets que les homos et grr ne supportent pas les formes généreuses d’une femme. Bref, tous mes amis homos me le répètent « l’hétéro est un homo qui s’ignore ».

  4. Je ne peux m’empêcher un bon mot et j’espère que vous comprendrez cet irrépressible trait d’humour : je pense que c’est votre épouse qui est le véritable cerveau dans toute cette affaire 🙂

  5. je suis un vrai fan de James Ellroy, et même si là ça manque un peu d’action, heureusement, ça fait quand même furieusement penser aux personnages de ses bouquins, c’est passionnant, j’attends la suite…

  6. et bien,Guy, vous m’en bouchez un sacré coin
    vous connaissez trop de monde apparemment…
    en plus, je vais devoir relire car c’est assez compliqué tout cela
    la suite dans 5 ans??
    bon courage

    sinon,rien à voir, vous connaissez ce blog:
    http://alorsvoila.centerblog.net/
    le journal des étudiants en médecine
    jetez-y un coup d’oeil

  7. C’est passionnant, Vraiment ! Vous avez raison ça mérite un film.
    En tout cas, il a l’air de savoir plein de trucs ce GW et il en raconte encore aujourd’hui.

    A propos du journal des étudiants en médecine.
    J’ai découvert le blog de ce garçon ce we, j’ai lu d’un coup tout ses post! C’est un formidable narrateur et ses récits sont tour à tour drôles,sensibles et terriblement humains.

  8. Ce blog découvert dans l’œuf pondu du jour est d’un désopilant 🙂 Que de talent !
    ça vaut le « non » comme contraceptif oral des plus efficaces décrit par Woody Allen
    http://www.klaire.fr/

  9. Ca fait vraiment Pieds Nickelés cette histoire. Je voulais juste dire que le livre d’Imad Lahoud m’avait beaucoup fait rire et que ceux qui ne l’ont pas lu ont raté quelque chose.
    Si « le cabinet noir » est disponible en Kindle sur amazon.com je vais le lire car je pense que là c’est moi qui ait raté quelque chose.
    Après l’épisode DCRI je trouve que Monsieur Dasquié aurait dû se reconvertir dans une rubrique jardinage. Aux USA un tel journaliste serait un paria, on passe quelques semaines en taule plutôt que balancer ses sources. Personne n’est forcé à faire de l’investigation sensible. En France on se couche naturellement, semble-t-il.

  10. Finalement j’ai récupéré pour pas cher un exemplaire papier, faute d’édition électronique. Manifestement les livres de Guy attirent les délinquants : le mien a pour marqueur de page un procès verbal d’infraction de la SNCF dressé par l’agent CF432. Le lecteur (ou la lectrice) voyageait en 2ème classe sur Paris-Briare le 9 janvier 2009 et a dû s’acquitter d’une amende de 15,60 Euros. Naturellement il (elle) a payé en espèces.

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5 Fév, 2013

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Miller, les juifs, la France, la morale, le fond et la forme

Miller, les juifs, la France, la morale, le fond et la forme

Tout a commencé avec une tribune de Gérard Miller publiée dans Le monde, titrée "Jamais autant de juifs français n'ont perdu à ce point leur boussole morale". Pour moi, rien n'allait dans cette expression "juifs français". Reprenant l'écrit fulgurant de mon regretté...