De l’Autre Côté

Angle

Faites l’expérience, racontez-là…

Faites l’expérience, racontez-là…

(…)

Prenez l’endroit – une rue, un terrain, un jardin, un parc, etc., que vous connaissez le mieux au monde.

Vous y avez grandi.

Vous y avez usés vos fonds de culottes, déchirés vos genoux.

Vous y avez souffert, transpiré, joué, gagné, bataillé, perdu.

Vous y êtes resté des heures, des semaines, des mois ; depuis des années, pendant des années.

Juste en face de ce « lieu » (le vôtre), dont vous pouvez décrire le moindre centimètre carré, les yeux fermés, il y a une grande bâtisse.

Une grande bâtisse ou un immeuble ou une maison, ou autre chose que vous voyez depuis toujours et qui surplombe votre espace, votre territoire.

De l’autre côté.

Un endroit dans lequel vous n’êtes jamais « vraiment » entré.

Ou alors, si vous y avez pénétré, ce n’était pas assez longtemps, ou pas au bon endroit, pour voir votre terrain de « jeu » d’en face.

Et surtout, surtout, d’en haut.

Si vous avez cette opportunité, saisissez-là !

Et si vous ne l’avez pas volez-là !

Entrez par effraction.

Et regardez !

Regardez d’en face et d’en haut, ou d’en haut et d’en face, le lieu que vous avez toujours connu « à plat », au ras du sol, de l’intérieur, de dedans.

Votre « dedans », vu du dehors, d’en face et d’au dessus…

Vous vu d’en face, en quelque sorte.

Ce changement de perspective, d’angle ; cet autre point de vue, c’est une grande expérience.

L’avez-vous déjà vécue ?

Racontez-moi…

Ou courez-y !

27 Commentaires

  1. A défaut d’endroits que j’ai toujours connus, mais très inspirée par la question de la perspective, géographique ou temporelle, je vous propose ce que cela m’évoque : l’enseignement de Robin Williams, dans le Cercle des Poètes disparus, qui fait monter chacun de ses élèves sur son bureau, pour qu’ils voient la classe « de l’autre côté » ;
    la métaphore du lien avec l’Autre, et de son regard sur soi ;
    L’amour d’un jour que l’on revoit quinze ans après, et qui, aussi charmant soit-il, n’a pas les mêmes souvenirs (!) ;
    une citation de Flaubert « Le souvenir est l’espérance renversée. On regarde le fond du puits comme on a regardé le sommet de la tour. »
    Quel beau sujet en tous cas..

  2. oui Graziani c’est tout à fait ! 😉
    Il y a aussi ce qu’on vit et le spectacle que ça peut donner à voir, son interprétation en fonction de l’angle de vue !
    La question du point de vue dans tous les sens du terme…On peut décliner ce thème à l’infini rien qu’en se remémorant ce qu’on a été, ce qu’on est devenu, ce qu’on avait rêvé d’être… !

  3. C’est un coin des Cévennes là où le Gard touche la Lozère. Une vallée où coule une rivière au prénom de garçon : le Gardon.
    Pour y accéder de la maison de mes grands-parents, il fallait traverser « la montagne » emplie de châtaigners puis suivre un chemin de terre qui descendait à pic en se retenant aux branches, se griffant les mollets aux ronces et attrapant au passage des « fleurs à savons » pour faire à l’arrivée, de la mousse dans l’eau ..
    La végétation était tellement dense que l’on ne devinait pas la rivière, tout juste l’entendait-on ou sentait-on l’odeur de l’eau à la faveur des vents, certains matins.
    Mais la récompense était au bout… Un coin d’eau transparente baptisé « le rond plat » où j’ai appris à nager et à faire des ricochets.
    En ce temps-là, on marchait pieds-nus et à force de fréquentation assidue, j’avais fini par connaître la forme de chaque galet qui ressemblait à des feuilles d’ardoise superposées, pour arriver dans l’eau sans me coincer un seul orteil.
    On passait notre temps sous l’eau les yeux ouverts à la recherche du plus beau caillou ou à regarder nager les poissons avec la crainte de voir surgir un brochet !!!!
    On passait notre temps, le nez en l’air pour voir sauter ou plonger les autres à leur tour, du haut des rochers, plus haut, toujours plus haut , tel était le défi ! On connaissait tout de la profondeur de l’eau et de la violence des courants. Quelque part des films Super 8 témoignent de nos exploits !
    Epuisés , on s’asseyait alors au bord de l’eau, un Choco BN entre nos doigts fripés , avec les verrons qui venaient nous chatouiller les pieds….
    On passait notre temps le nez en l’air à faire aussi de grands signes aux trains qui passaient- Les voyageurs nous répondaient le bras à la fenêtre, sans doute un peu envieux – ou à suivre des yeux le camion des pompiers car des incendies il y en avait plusieurs de mai à septembre…La colline est aujourd’hui « clafie » de maisons….
    C’est sur cette route qu’au détour d’une déviation je me suis arrêtée pour la première fois un matin d’octobre dernier, en revenant dans le village de mon enfance. Il faisait chaud comme en plein été, je me suis penchée sur le mur en pierre pour apercevoir, « mon gardon », j’ai vu la voie ferré en contrebas, les rochers témoins de nos insouciances mais plus rien qu’un maigre filet d’eau au lieu de ma ronde rivière.
    Vu d’en haut, j’ai eu le vertige …et j’ai senti qu’on m’avait volé un peu de mon western comme le chantait Brel.

  4. MERCI !

  5. Sinon pour voir « du dessus » y’a google maps… mais je crois que ça fonctionne moins bien.

  6. Il y a bien longtemps, je me suis retrouvé de l’autre côté. Nous étions 2 dans une résidence universitaire américaine, à la fin des années 60. Un soir, nous avons pris un acide. Cette chambre avait pour particularité de disposer d’un miroir, situé perpendiculairement et entre les deux lits de cette chambre d’étudiants. Bien. Le temps passe et soudain, mon ami Gzoucz me regarde, affolé. « Je suis de l’autre côté ». Et je le vois dans le miroir, il est en effet passé de l’autre côté. J’y vais donc. C’est pas mal, mais il a fallu pas mal de temps pour rentrer…

  7. Alamo Valérie,

    J’ai drôlement bien aimé ce que vous avez écrit…

  8. Il y avait ce souffre douleur que toute la classe attendait pour lui taper dessus à la sortie sous les quolibets, parce qu’il était habillé pauvrement et afflublé d’un béret noir sur le crane.

    Nous étions deux trois à avoir décider de couvrir sa sortie et dans mon souvenir c’était très héroïque (on prenait beaucoup de coups, nous étions vraiment peu de notre camp) et le champ de bataille s’étendait sur au moins 1 km une rue en pente surplombant la ville

    En fait sur 100m tout au plus

    Depuis la question qui me taraude est si le combat n’avait pas paru si disproportionné, si héroïque l’aurais je seulement mené ?

    Reste que lui ils ne l’ont jamais attrapé

    Est ce que nous défendions ce camarade ou l’ivresse de se vivre en héros ?

  9. Malbrouck, cela me touche beaucoup , merci…

  10. Malbrouck, merci aussi.

  11. Et vous Guy, racontez-nous..

  12. Superbe texte à 22h13 je confirme !

    Moi qui trouvais le canevas un peu risqué, ou plutôt méchamment costaud, vu le format… En tout cas il est vraiment bon !

    Histoire de contribuer à mon niveau, je dirais simplement que j’attends toujours un ravalement de façade de mon immeuble… pour disposer d’un échafaudage privatif, à l’unique fenêtre de mon petit studio ! Comme ça, une nuit, discrètement, j’irais alors prendre ce petit bout de recul vertigineux et je jetterais un regard attendri sur l’intérieur de mon domaine… Il se trouve que ça m’est déjà arrivé quand je vivais chez mes vieux, et j’avais bien halluciné ! Parfois il suffit tellement de pas grand chose… (j’étais moins défoncé que Yvanchteglov)

  13. nb : mon texte ne s’adresse pas aux personnes qui ont un balcon

  14. notre terrain de jeu ,mes copains et moi était un…terrain militaire.Nous habitions tous autour d’une caserne et son accès bien que strictement réglementé n’avait aucun secret pour la bande(8-12ans). Les stands de tir ou nous faufilions pour récupérer des balles,le parcours du combattant ,la tyrolienne (quel pied).
    A 1h30 tous les jours des petites vacances c’était expédition.
    N’allait pas croire que c’était facile car il y avait « couille de loup » un gradé qui de temps à autre nous hurler dessus de façon imagée d’ou son surnom .
    Malheureusement il n’y a plus possibilité de visiter nos aires de jeu au doux nom de « mechta » du « pantheon » ou de l’helicoptére sauf lors des portes ouvertes du régiment.
    Notre terrain de jeu renferme aujourd’hui un camps d’entrainement des forces speciales.
    Qui ose gagne est leur devise

  15. Quand elle me donna son adresse je me rendis compte que c’était la rue qui faisait l’angle avec celle où j’avais habité pendant vingt ans, chez mes parents, décédés depuis longtemps maintenant. Je ne retourne pratiquement jamais dans ce quartier de Paris, très bourgeois aujourd’hui et truffé de ministères, je me demande d’ailleurs bien comment, ouvriers qu’ils étaient, ils avaient pu se retrouver là-bas, dans les années soixante, propriétaires de ce tout petit appartement qu’ils avaient réussi à acheter avec leurs maigres économies. Je vadrouillais souvent les week end, seul ou avec quelques copains à la recherche de « passages secrets » permettant de passer d’une rue à l’autre ou à travers les cours intérieures que seuls les habitants des immeubles concernés pouvaient connaître, ou alors encore on utilisait les ascenseurs (pas si courants que ça à l’ époque) pour chercher si il y avait des toits ou des terrasses aux derniers étages pour aller y fumer nos premières cigarettes en regardant la tour Eiffel, il n’y avait pas de codes aux portes ces années là et il suffisait juste de ne pas trop attirer l’attention du concierge pour pouvoir entrer n’importe où. J’arrive devant chez cette amie, le code, le deuxième code, escalier B, troisième étage, et là se présente une série interminable de couloirs avec du vieux parquet au sol, qui tournent sèchement, puis montent, et puis retournent à angle droit et puis redescendent jusqu’à ce qu’une antique fenêtre éclaire vaguement l’endroit, j’y jette un coup d’oeil furtif, et … je reconnais « ma » cour, toute petite et encore pavée, celle où un jour j’avais jeté quelques pièces à une chanteuse de rue qui était venue y chanter une chanson de Piaf, avec le toit en zinc juste au dessus de « ma » chambre et sur lequel je n’avais jamais réussi à grimper, et la lucarne de la cuisine par laquelle un jour d’orage une boule de feu était rentrée, et l’immeuble d’a coté avec ses fenêtres toutes refaites maintenant, mais comme tout cela est devenu petit aujourd’hui, et vétuste, je me sens profondément ému devant cette vision que j’ai, pour la première fois, des lieux mon enfance. Je n’en dirais rien à mon amie, ce genre de choses n’est pas facilement communicable et les émotions se bousculent … en sortant de chez elle néanmoins, je passe l’angle de la rue et « courageusement » décide d’aller y voir de plus près, je suis devant la grosse porte verte de l’entrée, toujours la même, elle était si lourde à pousser, et merde … il y a un code !
    Bôah, c’est aussi bien comme ça !

  16. Je n’ai malheureusement pas la culture du livre mais j’aime lire ce genre de récits racontés par des gens de la vraie vie…Ce n’est pas du roman au sens littéraire…Ces souvenirs d’enfance me fascinent, m’émerveillent…Je trouve ça d’autant plus beau que je me rends compte que j’ai eu une enfance où la notion de « bande » n’existe pas…Je compartimentais déjà : j’avais ma meilleure amie ici, et j’avais mon meilleur ami là…J’ai continué ainsi à juxtaposer des relations exclusives déconnectées les unes des autres…Plus tard, meme en m’agrégeant à des groupes constitués, je le faisais en free-lance, en restant dans ma bulle, en être sans vraiment en être…Je devais déjà être à moitié autiste sans qu’on le sache et en passe de devenir plus tard agoraphobe ;-)…Je pense qu’il n’y a rien de plus fondateur que l’enfance et les parents ont la lourde responsabilité de garantir à leurs enfants un cadre qui leur permette de se construire parmi d’autres dans les meilleures conditions…Un plaisir immense de vous lire…

  17. Je suis monté sur le beffroi éphémère devant Notre Dame de Paris.
    Ah oui, et j’ai eu aussi ce que certains nomment une expérience de mort imminente.

    Hé bien, les deux changent beaucoup de choses dans la manière de voir les choses. Mais de là à raconter les choses, je préfèrerais raconter la perspective vue du beffroi.

    Charles.

  18. J’avais 22 ans et ma vie professionnelle avait traîné ma (future) femme à Lille. Je retrouvais mes racines et j’arrachais les siennes… je passe l’histoire immobilière, l’envie de se fâcher de façon violente avec les agences immo et la dichotomie entre Mérignac (excusez du peu) et « La » métropole Lilloise que l’on nous a resservi tant de fois…

    Bref nous finissons dans un quartier populaire (ce qui n’est pas pour me déplaire), Fives pour ne pas le nommer, avec en face un bar tabac pmu dont j’ai oublié le nom, une pharmacie et un autre bistrot au coin de la rue, un bien nommé « Le petit coin »…

    Nord oblige, nos fenêtres étaient démesurées et donnaient sur la rue (pour capter la chaleur du soleil ^^ ) et, curiosité oblige, les lumières du « Petit Coin » ont alimenté des discussions avinées (ou pas) fantasmés et sans avoir jamais franchi la porte nous pensions que nous connaissions tout de ce lieu…

    Pourtant avec un nom pareil cela serait le premier endroit que j’aurais du visiter… concours de circonstances ceux qui m’accompagnaient avaient besoin d’acheter de la nourriture pour crabes (sans filtres).

    Lorsque je suis arrivé dans notre nouvelle demeure (un 35m² c’est moins compliqué à chauffer ^^) ma future épouse n’arriverait qu’une semaine après il a donc fallu gérer le déménagement seul. J’avais bossé de 6h à 18h (je suis restaurateur salarié en chaîne j’ai donc le luxe de ne bosser parfois que 12h par jours) et roulé toute la nuit depuis Bordeaux puisque rendez vous à 9h le lendemain avec les déménageurs…

    Histoire de rester éveillé ou parce que l’on m’a appris a respecter les autres et la valeur travail j’ai donné un coup de main aux déménageurs nous avons donc fini plus tôt que prévu (par eux) et avons fini au bar tabac pmu histoire de manger et boire un coup ensemble, anecdotique mais un bon souvenir tout de même vu que j’ai recroisé bien plus tard l’intérim embauché sur place pour le déménagement et avons partagé quelques moments sympas ^^

    Pourtant j’ai oublié le nom de l’établissement d’en face alors que je pourrai dessiner le plan du bistrot ou un portrait robot de son patron… Comme quoi…

    La pharmacie d’en face tient aussi une place plus qu’importante dans notre vie. Non je suis pas hypocondriaque, pourtant j’aime le cheval vu que j’en avais dans dans mon biberon, c’est juste que le premier test de grossesse que j’ai vu vient de là… Et en pur béotien quand ma femme (enfin) m’a demandé si c’était positif je l’ai renvoyé là bas ne sachant pas… (et c’était positif pour notre plus grand bonheur) mais toujours pas franchi le pas de la porte du « Petit Coin ». Pourtant, encore, souvent nous nous gaussions de la lumière allumée tard dans l’établissement.

    Encore un concours de circonstances… j’ai oublié mes clés ce matin en partant et ma femme n’arrive qu’une heure plus tard, enfin je pousse la porte du « Petit coin » et ouch… c’est sale, juste de la bière bouteille (BLASPHEME !!!) et un patron pas du nord (Afrique du Nord j’ai failli ne pas écrire ça mais j’espère tomber sur des commentaires pas bas du front) Choc culturel et fantasmes de deux ans envolés… ou pas avec le recul… c’était toujours le dernier bar où il y avait de la lumière dans ma rue…

    Amis lecteurs, ne traversez pas la rue, continuez à la fantasmer cette place d’en face et surtout continuez à fantasmer votre « chez vous » ou votre « spot ». Il y a de bonnes surprises mais aussi des déceptions qui sont possibles.

    Just ask you one question : Do you fell lucky punk ?

    (oui vous pouvez avoir de la chance aussi donc tentez, comment ça j’ai dis le contraire avant ?????)

  19. ENCORE !

  20. J’ai passé toutes les vacances de mon enfance et adolescence sur cette ile bretonne, à faire les 400 coups, à pied ou à vélo, rentrant la nuit grâce à la lumière des phares, profitant de la mer, et des soirées mémorables. J’y ai rencontré mon mari, nous avons eu deux filles, nous avons continué à passer là bas toutes nos vacances. Depuis son décès, je n’arrive plus à y retourner, mais nos filles y vont régulièrement, et leurs récits de vacances sont ceux que j’aurais pu faire à leur place, quelques années auparavant. La même vie insulaire si particulière, les mêmes lieux ou presque, et nos amis, ou leurs enfants, avec qui elles passent elles aussi des soirées inoubliables, et rentrent à la lumière des phares.

  21. L’endroit où je me rends chaque matin avec la curiosité jamais éteinte malgré les années, c’est l’épicerie de Guy, on y trouve un gars toujours en éveil en dépit de ses tee-shirts vintage, il distille ses chroniques avec la régularité d’un métronome, son dos rond lui fait accepter toutes les critiques acerbes, malgré ses désillusions il penche à gauche, ne vote pas et souhaite la prise en compte du vote blanc, entourée de filles à la maison il est épargné par les travers du machisme, un peu (beaucoup) bobo il aime à se promener sur la plage abandonnée par les touristes au petit matin, et se régale d’un pain au chocolat remis au goût du jour par son ami d’enfance Jean-François Copé.

  22. 😉 😉 😉

  23. C’est un petit domaine au nom de vieil évêque.
    Chaque été, dans un coin de la campagne française, je retrouvais le royaume de mes jeux et chimères.
    Enfant solitaire, je portais sur mon visage les secrets de la famille. Je détestais les regards et les murmures des adultes. La cruauté des enfants me blessait.
    Enfant silencieuse, je me plongeais avec délice dans mes rêves de liberté, grisée par l’étendue de ce monde pourtant clos.

    Je courais à travers le petit bois et j’aimais entendre battre mon coeur. Je sentais son rythme sourd, mes oreilles bouillonnaient, le souffle me manquait mais j’étais libre.
    Je frissonnais comme les feuilles des arbres et j’humais l’air comme un animal au moindre craquement suspect. Se faire invisible. A la fois chasseur et bête traquée.

    Je m’allongeais au pied de cet arbre centenaire, trônant au milieu d’une vaste pelouse à la taille millimétrée. Et J’observais la vie tout au long du jour. Parfois au crépuscule, le gibier traversait tranquillement l’étendue herbeuse pour rejoindre les profondeurs du bois.

    Je découvrais,grâce à la bienveillance du fermier louant la ferme du domaine, le rythme de la nature et des saisons. Odeurs d’étables, foin qui gratte et poussière qui pique le nez.
    La confiture de mûres et les bisous de sa femme dés que je me faisais une nouvelle croûte sur les genoux.

    La maison de maître, immense et bourgeoise, où se cachait un fantôme derrière chaque porte. L’immense bibliothèque et le grenier rempli de malles étaient sacrés à mes yeux. Des milliers de rêves et d’histoires loin de la réalité des adultes, loin de la réalité tout court.

    Depuis j’ai grandi et le domaine a été vendu. Le fermier est mort et sa femme est partie. L’arbre centenaire a été abattu, terrassé par la foudre.
    Il ne reste plus rien de mon royaume. Pourtant juste avant de repartir, j’ai cru voir l’ombre d’un chevreuil s’enfoncer dans les bois comme un dernier salut à mon enfance.

  24. Le terme « paradis » vient d’un vieux mot persan, , paridaiza, qui signifie l’enclos, le jardin, et par extension le sanctuaire… une sorte d’Eden de substitution.

    (…)

    À un jet de pierre de mon collège se trouvait une impasse. Et au fond de cette impasse, une barrière en métal grise et verte, haute de plus de trois mètres. Des petits malins avaient déposé contre elle un assemblage de vieilles palettes en bois, truffées de vieux clous rouillés, en guise d’échelle pour escalader. Sur la gauche, en bout de piste de cette souricière, un lugubre bâtiment en briques rouges – refuge de L’Armée du Salut – était chargé d’humaniser le décor autant qu’il le pouvait.

    Derrière ses fenêtres, des vieillards inquiets nous observaient, prêts à appeler les flics (ce que d’ailleurs ils firent, et ainsi de suite à chaque fois). J’étais âgé de douze ans, passionné de graffitis… et on m’avait bien « vendu » le spectacle qui m’attendait derrière cette clôture plutôt banale, alors qu’elle renfermait des trésors qui pour nous, dépassaient l’entendement.

    Le « chantier » en question consistait en un ancien parking à ciel ouvert (où était passé le toit ?), bâti en profondeur sur trois niveaux, et recouvert depuis de fresques, de graphismes, de couleurs, tous plus fascinants les uns que les autres. Un art nouveau pour l’époque, dont les pionniers possédaient néanmoins de solides références, mais dont le ‘grand public’ ne connaissait alors que ces vulgaires gribouillages, qui s’imaginent naïvement pouvoir marquer un quelconque territoire.

    Pour voir du sublime, il fallait le mériter. Pour rendre sacré un nouveau terrain de jeu, il fallait d’abord le découvrir, et avant ça, au préalable, il fallait l’avoir rêvé. Celui-ci était tout en ruines, envahi par une incroyable végétation qui rendait les déplacements extrêmement sportifs. Pour relier deux planchers de béton délabrés – d’où s’échappaient les tiges sournoises de leur armature en fer -, il était par exemple nécessaire de grimper sur un arbre, puis de ramper sur une branche… C’était une jungle d’asphalte, de métal et de végétaux entremêlés, laissée à l’abandon et au vide, mais que des petits zozos – carrément esthètes et munis de bombes de couleurs – avaient réussi à transformer en paradis.

    Jamais je n’oublierai la découverte de ce panorama, la première fois, en passant la tête par-dessus la clôture, au terme d’une ascension délicate – qui fut d’ailleurs fatale à mon fond de culotte. Comme si je venais de découvrir un nouveau Pompéi, à la différence près que je n’avais peut-être jamais entendu parler de l’ancien. C’était notre Musée du Louvre, sans doute moins fastueux, mais dont cette fois, nous étions les Rois. Comment ne pas être frappés par l’anachronisme du lieu, son architecture dévastée, ses reliefs de fin du monde, et surtout par sa vitalité retrouvée dont les images enivrantes semblaient s’animer devant nos yeux éblouis… Un univers très longtemps fantasmé, enfin révélé, dans la rumeur lointaine des sirènes et des klaxons, vomis sur le boulevard à cinquante mètres derrière nous…

    J’aperçus immédiatement SON chef-d’œuvre, au loin, par delà le gouffre. De dimensions prodigieuses (quinze mètres sur cinq), il régnait ici en maître, et je brûlais déjà de m’approcher coûte que coûte, afin de pouvoir admirer toute la subtilité de sa composition. Pour l’instant, j’y distinguais surtout cet immense personnage… un vieux barbu aux longs cheveux blancs, recouvert d’une toge verte – c’était Moïse ! – qui lançait des éclairs d’un doigt majestueux, et semblait illuminer à lui seul toute la scène, laquelle pourtant avait lieu en plein jour.

    (…)

    On y est souvent retourné par la suite, avec mes deux potes, Omar et Romuald.
    Parfois, on y faisait la rencontre de mecs en train de peindre – des « grands » – qui nous expliquaient leur technique, avec pédagogie. De temps en temps aussi, on se faisait courser par des camés, des clodos, des zonards… Régulièrement, enfin, il nous arrivait de devoir attendre – sans respirer – que s’éloigne le véhicule de police qui nous attendait de l’autre côté, et dont nous parvenaient les crachotements de la radio, par-dessus la palissade… Cette palissade qui, au fil du temps, avait grandi plus vite que nous, renforcée de protections barbelées, au point de ressembler tout à fait à l’enceinte d’une prison. Lors de notre dernier – et vain – passage, nous vîmes justement qu’un type écœuré avait écrit à la bombe :  » À Quand Le Mirador ? »… L’endroit était devenu inaccessible.

    C’est pourquoi je fus totalement stupéfait, quelques mois plus tard alors que je musardais tout seul, sur une avenue opposée qui délimite le même pâté de maison. Il faut dire que ce terrain vague était immense, et que j’avais toujours ignoré – car je perdais quasiment tout sens de l’orientation lorsque je m’y trouvais – qu’il pouvait contenir une autre voie d’accès. Or, ce jour-là, sans y penser, je tombai nez à nez sur une porte cochère, donnant sur la rue, et qui pour la première fois était grand ouverte…

    En me frottant les yeux, je reconnus alors mon paradis.

    Où j’entrai cette fois comme dans un moulin.
    Comme dans un rêve où soudain, tout devient facile…
    Sans la moindre transgression.

    La semaine d’après, les travaux commençaient.
    Une « résidence de repos » fut vite construite.


    NB : impossible de retrouver sur la Toile des photos de la fresque avec le « Moïse », ni aucune autre de cet endroit… mais je sais qu’on peut en trouver dans le mythique bouquin «Paris Tonkar», publié en 1991.

  25. Bien aimé votre texte, As !

    Ça me rappelle le début du roman de Colette, « Claudine à l’école »… (attention, pour moi c’est une PURE référence ! même si le titre a l’air con !)

  26. Pour info, j’ai retrouvé « Moïse »… et quelques fragments de la fresque, seuls rescapés de tout cet endroit. Mais c’est déjà ça.

    il faut faire défiler une sorte de PDF, sous la présentation.
    Les numéros de page sont indiqués. c’est la 112/125

    http://www.allcityblog.fr/1714-paris-tonkar/

  27. MERCI ENCORE !

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18 Mar, 2013

Épicerie ouverte

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