Nous avions prévu de dîner tous les trois ce soir là…
Nous avions prévu de dîner tous les trois ce soir là…
(…)
7 Janvier 1996.
Je suis consultant à la direction de l’information de France 2, depuis le début de l’année 1995, tout en étant maître de conférences en science politique, à l’Université de Montpellier I.
J’ai la charge d’aider Jean-Luc Mano, directeur de l’information, dans la préparation des émissions politiques (« La France en direct », « Invité spécial ») et des émissions spéciales.
Ce 7 janvier, vers 21h, après avoir regardé le 20h, nous dînons avec Georges-Marc Benamou dans un restaurant où François Mitterrand avait son rond de serviette : chez Lulu, à l’Assiette, en fait, rue du Château, dans le XIVème arrondissement de Paris.
Pourquoi cette référence à Mitterrand ? Parce que le sujet du dîner c’est lui.
Le « Tout Paris » bruisse de rumeurs depuis des semaines sur l’état de santé de l’ancien Président.
Ce soir-là, Mano veut donc dîner avec Benamou pour réfléchir avec lui à la meilleure manière de traiter journalistiquement du décès de François Mitterrand, lorsqu’il arrivera, malheureusement.
Le journalisme à ce niveau de décision – celui de Mano – c’est évidemment cela : l’anticipation sans cynisme.
D’ailleurs, dans toutes les rédactions des heures de « nécro » sont prêtes, « au marbre » ; mais il faut aussi préparer tout ce qu’il y aura autour des heures et des heures de rétrospective.
Prévoir des invités. Et les bons de préférences.
Georges-Marc Benamou qui a beaucoup fréquenté le Président est de bon conseil.
Lorsque nous quittons le restaurant, après une formidable omelette aux truffes – un dîner très arrosé – nous allons Boulevard Raspail, tout près, à son domicile, terminer la soirée, très tardivement, et continuer de refaire le monde.
Cette nuit-là, j’ai dû rentrer chez moi vers 3 heures ou 4 heures du matin.
Je ne sais plus à quelle heure mon portable a sonné, me réveillant, le 8 janvier (à l’époque, je ne l’éteignais pas la nuit…).
Probablement bien avant 8 heures, mais je ne peux pas être précis.
Mano m’apprend d’une voix blanche, pâteuse et engourdie que François Mitterrand vient de mourir.
La nouvelle, qui n’est pas encore publique, lui vient d’une source très sûre, au dernier domicile du Président – avenue Frédéric-Le-Play – je crois.
Il faut que je « rapplique » d’urgence. Que je « me magne« .
Nous nous retrouvons.
Dans quelques minutes, c’est un Président Chirac ému et la voix tremblante, d’après des témoins directs, qui va apprendre aux journalistes, justement rassemblés ce jour-là à l’Élysée pour ses vœux à la presse, que son prédécesseur est mort à l’aube.
Jacques Chirac annule ses vœux.
Alors que le tout Paris du journalisme politique prend connaissance de la bouche même du Président de la République de la triste nouvelle, nous avons un temps d’avance.
Mano m’a confié une mission.
Il veut prendre l’antenne le plus tôt possible avec Bruno Masure et Daniel Bilalian en plateau et des invités qui se succèdent. Une édition spéciale…
Je suis chargé d’inviter pour le plus tôt possible (je ne sais plus si c’est 9h ou 10h, l’INA devrait permettre de vérifier) trois personnalités : Jacques Séguéla, Jacque Attali et Bénamou donc, avec qui nous dînions la veille.
Je commence par faire sonner le téléphone de ce dernier qui finira par me répondre après plusieurs tentatives désespérées. Nous nous étions quittés si tard… Ou si tôt.
J’appelle ensuite Stéphane Fouks à Euro RSCG que je charge de prévenir Séguéla qui va immédiatement sauter en voiture pour nous rejoindre.
Je téléphone enfin au secrétariat de Jacques Attali, que je connais bien, et dont les bureaux sont distants de quelques mètres de France 2, rue Bayard (France 2 est alors installée Avenue Montaigne et rue Jean Goujon).
Sa secrétaire fait barrage.
J’insiste en lui disant que je dois absolument parler personnellement à Attali sans pouvoir lui dire pourquoi.
Je dois avoir un ton convaincant.
Elle me le passe…
« Jacques… Le Président est mort... »
J’entends une exclamation. Comme un sanglot étouffé et stupéfait.
Puis Attali se reprend très vite, et me demande si je suis sûr de la nouvelle que je lui apprends. D’où et de qui je la tiens.
Il m’explique qu’il doit terminer son rendez-vous et qu’il gagnera France 2 dès que possible.
Je me revois ensuite, dans une sorte de brouillard, accompagner les invités arrivés les premiers en plateau, avec Alain Duhamel.
Je tends alors à Jacques Attali, qui doute encore, la dépêche qui vient enfin de tomber, officialisant la nouvelle…
L’édition spéciale qui sera précédée à 8h30 par un « flash spécial« , présenté par Daniel Bilalian, durera toute la journée et une bonne partie de la soirée…
Une page d’histoire dans l’histoire, en somme
Beau texte. (pas toujours facile de commenter). (PMA dans 10 minutes).
Samedi confession: je me suis bourré la gueule la nuit de la mort de Mitterrand.
Bon faute avouée..
Sinon, des 3 invités, y en a t-il un seul qui ne soit pas Sarkozyste aujourd’hui ?
Casting d’avenir en somme.
Je me souviens très bien de ce jour là… et autant dire que ce jour là, dans ma famille, mon anniversaire est passé au second plan ;-))
Née en 71, je suis un pur produit de la génération Mitterrand. 10 ans, et il accède au pouvoir, mon père est verdâtre, ma mère peine à retenir son sourire, elle est ravie.
J’ai des tas de trucs à reprocher à Mitterrand. Pas sur Mazarine, je m’en fous complètement. Bousquet évidemment, le passage à Vichy, pas clair. Le dossier obscur du Rwanda (que je connais mal, je précise tout de suite).
Mais
Mais reste un grand chef d’Etat. Avec un E majuscule. Que ça soit ses farouches opposants ou les ardents défenseurs, on ne cesse de parler de lui. La France reste orpheline, et il me semble que dans la mémoire collective, Mitterrand a succédé à Charles de Gaulle dans le rôle ingrat de l’incarnation d’une certaine idée du pouvoir.
Qui le remplacera ?
Reste aussi l’abolition de la peine de mort. J’admire celui qui donna la possibilité pr que cesse cette barbarie, cette lointaine descendante de la loi du talion.
C’est pas rien.
François Mitterrand est parti heureux étant parvenu à tourner une page de l’humanité. On comprendra plus tard, si on a les hommes pour ça.
Par contre tous les joyeux drilles de séguela à attali se vautrent et s’épanouissent dans le sarkozysme. Et ça coince. Ou coin-coince. Ceux que François Mitterrand appelait les canards de l’Élysée ne sont jamais loin.
A l’attention des dirigeants du PS
» Qu’il est difficile de grandir à l’ombre des grands Hommes « …
Et je leurs demanderai,
Pourquoi?
leur
« Le Président est mort » le 8 janvier 1996…depuis, la VIème République attend toujours.
(beau texte)
Sa mort ne m’a point trop ému, sans doute en raison de son dernier mandat…
C’est marrant, Monsieur, on est tous pareils.
Quand quelqu’un qui compte à ses yeux meurt, on revoit les circonstances dans lesquelles on se trouvait.
On SE revoit.
Et on lui dispute la vedette.
Ne le prenez pas mal : je suis de ceux-là et je ne me vexe pas.
C’est marrant, Monsieur, on est tous pareils.
Vous évoquez les réactions des personnes informées de la mauvaise nouvelle (surtout mauvaise pour F.M.), certes vous les entendez comme si c’était hier – ou vous les voyez – oui, cela vous émeut.
Mais vous avez eu l’inestimable avantage d’être le messager. Oui, c’est curieux, mais je crois que c’est comme ça. Vous aviez une mission d’exception. Elle vous a porté.
Cela ne tient pas à F.M., quand Lucien (bonne fête au passage) ou Henriette meurent, c’est le même topo.
Oui, je crois que c’est comme ça.
De même, c’est bizarre aussi, mais à force de se dire (en effet sans cynisme) qu’il faut s’attendre à la mort de ce quelqu’un qui compte à ses yeux, on s’impatiente.
Ce n’est pas la précipiter.
C’est -je crois- l’appeler pour y penser plus facilement.
Mano, ex-coach de Christine Albanel et de Michèle Alliot-Marie, ex-conseiller de Christian Estrosi.
Benamou, ex-conseiller de Sarkozy, ex-futur directeur de la Villa Médicis nommé par Sarkozy.
Attali, ex-président de la Commission pour la libération de la croissance française nommé par Sarkozy.
Séguéla, ex-soutien de Royal puis ex-soutien de Sarkozy, le tout en 15 jours.
Bref, si à 50 ans t’as pas un rôle d’ex…
Euh, je sais que je suis jeune mais en 1996 les téléphones portables ça existaient ? Enfin à part les bi-bop quoi !
oui abadinte un ericsson précisément
@phil
Je ne suis pas sûr de moi mais il me semble qu’il y a deux « Mano »,êtes-vous certain qu’il s’agit bien de Jean-luc…?
Oui oui c’est Jean-Luc.
Le souvenir de son élection en 81 m’a beaucoup plus frappée que le jour de son décès, sans doute aussi parce que je vivais en Afrique à sa mort.
Il restera , comme l’écrit Catnat pour ce qu’il a pu faire de bien, à commencer par l’abolition de la peine de mort.
Mais il restera dans ma mémoire davantage pour l’immense espoir (trop grand, certainement) qu’il avait suscité en nous, la gauche au pouvoir, enfin !
Après toutes ces années !
Que pour la déception qu’il nous apportée ensuite, à la hauteur de ce qu’on espérait de lui.
On n’en a vraiment rien à faire d’Attali, je n’oublie pas comment il a gaspillé l’argent de la BERD, je ne comprends pas très bien non plus pourquoi les médias l’ont si vite réhabilité ce grand homme de gauche qui travaille maintenant pour Sarko.
Jean Pierre pardonne moi mais, dans le contexte, ton commentaire n’a aucun intérêt. Aucun…
Merci Guy pour ce très beau texte.
à Phil,
et quant à Guy Birenbaum, égal à lui-même, il sera bientôt convoqué au tribunal …
@catnatt
Hier matin, j’ai loupé mon train pour écouter ceci jusqu’au bout 😉
Robert Badinter évoque son ami, et notamment, ses relations avec Bousquet et le contexte dans lequel elles ont commencé. Je vous propose de l’écouter :
http://www.france-info.com/chroniques-les-choix-de-france-info-2011-01-07-robert-badinter-et-son-ami-francois-mitterrand-507324-81-422.html
(2e partie de l’interview)
Pas mieux que Des pas perdus.
Et je dois un paradoxal merci à Tonton : grâce à lui, je ne crois plus par principe aucun homme politique. Aucun.
Plus encore que Bousquet, je lui reproche Tapie, Charasse etc. et d’avoir remplacé Rocard par Cresson.
Bon, FM avait une autre envergure que Foutriquet 1er.
PS Mano-Benhamou-Attali-Séguéla : beau ramassis d’opportunistes. Si Marine arrivait à l’Élysée, chiche qu’elle les trouverait sur le paillasson en arrivant.
Beau texte de Guy, tout en nuances.
J’ai ré-écouté Jacques Chirac dans la promo du jour : je ne sais qui a écrit cet hommage, mais il est exceptionnel.
“Seul compte finalement ce que l’on est dans sa vérité…”
La petite histoire dans la grande Histoire.
A priori c’est ALbanel qui a écrit le texte de Chirac, qui a dû, aussi, mettre de lui même…
Texte très réussi !
Mitterrand avait beaucoup de défauts… Mais c’était un homme d’état d’une envergure incontestable (et incontestée), ce qui permet de mesurer la chute de notre pauvre pays en considérant les nains qui occupent les palais nationaux.
Pour faire plus léger l’Assiette me semble très recommandable, la preuve :
http://www.restaurant-lassiette.com/presentation.htm
PG
Certains commentaires sur Rue89 sont odieux. Ils me rappellent de très mauvais souvenirs…
En direct du passé.
Oui c’est ça exactement. En direct du passé.
Très beau texte, en effet !
Jean-Pierre Elkabbach est alors patron de France 2.
Comme quoi.
@Pat
merci pour le lien, je l’écoute des que je peux aujourd’hui 🙂
Aucun souvenir : c’était l’anniversaire de mes 6 ans.
Beau texte de votre part. J’ai aussi entendu de belles anecdotes de Mitterrand de la bouche de J-N Jeanneney, de Serge Moati et d’autres. Il semblait être un homme qui marquait les hommes, et qui a marqué négativement le peuple de droite, à défaut d’avoir marqué si positivement celui de gauche…
Mon professeur d’histoire de prépa, un ami, lui avait donné une leçon de 2h sur Jean Zay en 1995. Il était bluffé : tout dans l’état physique du président indiquait une mort proche ; pourtant, celui-ci marchait bien plus vite que mon professeur, alors âgé de 38 ans !
qu’il était beau le temps des cerises en ce joli mois de mai, oui je suis nostalgique des 14 années du Président Mitterrand, oui comme vous certains de ses proches m’ont dégouté, oui l’affaire de vichy et son amitié pour Bousquet ont ébranlé mon coeur, parce que juive, mais j’ai eu à cette époque l’extrême chance d’être dans le cercle intime de hélène et georges Dayan, qui m’ont dit pourquoi ils cautionnaient tout ce que faisait l’homme d’Etat, d’ailleurs l’avons nous remplacé….. je vous laisse à vos doutes stériles car sans le savoir votre beau pays est devenu en quinze ans une république bananiére, quel gachits.
Il avait une rolex Mitterand ou il avait raté sa vie ?
Sinon pareil, j’avais 5 ans en janvier 96, donc je n’en ai aucun souvenir, ni de Mitterand ni de sa mort.
Ca jour-là, je bossais en CDD dans le 15e, dans une officine affiliée au secrétariat d’Etat de Raffarin. Malgré la couleur politique de la plupart, surtout les dirigeants, la boîte a tourné au ralenti.
Deux alternatives. Ou bien, la gauche continue à nous saouler avec leur grand homme ad vitam aeternam. Ou bien, elle gagne enfin une élection présidentielle et renvoie définitivement Tonton aux oubliettes (finie l’aura du seul-président-de-gauche-de-la-Vème). Entre deux maux, il faut toujours choisir le moindre… pas évident dans le cas présent.
Petite erreur 8h30 est l’heure du décès, le flash est un peu après.
Dante, personne n’enverra « Tonton » aux oubliettes. Pas davantage que de Gaulle. Nous parlons d’Histoire.
Moui, ça se discute, j’ai plutôt l’impression qu’on est dans la légende avec ces commémorations à la noix. Quant à l’adoration quasi obligatoire qu’on se doit de nourrir pour le Général, j’ai également l’impression qu’elle est du même registre. De toute façon, perso j’ai été bien plus affecté par le décès de VGE.
Aujourd’hui y’a plus que la mort (Mitterrand) et la maladie (Sarkozy) qui intéressent les gens et les font causer.
Très joli billet, voyons un peu mes souvenirs de cette époque…Aux US lors de sa première élection, donc à la vue de ce que j’ai eu à y subir…Euh^^^
Ensuite, la famille Attali ils ont été deux il me semble.
En ce qui concerne le décès de l’illustre, j’étais en Chine je crois, n’ai aucun souvenir de traitement de cet événement programmé via les médias.
Bonne soirée Guy.
Beau billet.
Et bon commentaire de Phil :
– « Bref, si à 50 ans t’as pas un rôle d’ex… »
Mitterrand était une fripouille opportuniste et mabitieuse, depuis Vichy en passant par la guerre d’Algérie, son OPA sur une gauche déjà lamentable, puis son élection et sa reprise annoncée de la politique de rigueur de Raymon Barre/Giscard, il est un des pères de l’Europe monétariste qui a fait le malheur de ses peuples, et au passage l’ordonnateur de magouilles honteuses comme le Rainbow warrior, l’appel de l’affairiste Tapie au ministère… de la ville (des pauvres donc !) et parfois sanglante comme au Rwanda. Bref, bravo l’artiste non ?
Il n’a jamais atteint la cheville de ses modèles. Et, visiblement, les Français ne le regrettent pas (d’ailleurs les hommages de blogueurs lambdas ne foisonnent pas sur le Net en cette période de commémoration opportuniste).
Il est bien convenu ce laïus de Chirac, pas si brillant que ça à mon goût. Pour Virginie qui se trompe, une foison quand même, toujours façon « Mitterand n’est pas quelqu’un de banal, de facile à idolâtrer » mais qui se prête bien à entrer dans l’histoire du pays:
http://francoismitterrand2007.hautetfort.com/archive/2008/07/21/dernier-mot.html
C’est marrant, mais quand on pense aux compromissions de DS et aux fréquentations – sans doutes obligées mais néanmoins – douteuses (Benhamou, c’est tout de même une crapule de première, non ? Et Attali, un faussaire, non ?) de Guy, on se dit qu’internet est beaucoup plus fréquentable que la télé.
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