Quand tout s’agite, se bouscule et se renverse, il faut rester campé sur ses bases…
Quand tout s’agite, se bouscule et se renverse, il faut rester campé sur ses bases…
(…)
De ce point, de vue l’œuvre de Dino Buzzati – mort un 28 janvier (1972) – est une pièce maîtresse.
Tout particulièrement son Désert des tartares.
Et précisément ce bref passage qui dit tant…
– Hier soir, dit Drogo, je l’ai vu de loin.
– Quoi donc ? Le fort ?
– Oui, le fort.
Il se tut un instant et puis, pour être aimable:
– Il doit être grandiose, n’est-ce pas ? Il m’a paru immense.
– Grandiose, le fort ? Mais non, c’est l’un des plus petits, une très vieille bâtisse. Ce n’est que de loin qu’il fait de l’effet.
Après un silence, il ajouta:
– Une très, très vieille bâtisse, complètement démodée.
– Mais c’est l’un des forts les plus importants, n’est-ce pas ?
– Mais non, c’est un fort de deuxième catégorie, répondit Ortiz.
Il semblait qu’il éprouvât du plaisir à en dire du mal, mais ceci, il le faisait d’un ton particulier; comme quelqu’un qui s’amuse à énumérer les défauts de son rejeton, certain que, comparés aux immenses mérites de celui-ci, ils seront toujours quantité négligeable.
– C’est un bout de frontière morte, ajouta Ortiz. C’est pour cela qu’on n’a jamais touché au fort et qu’il est toujours comme il y a un siècle.
– Que voulez-vous dire par frontière morte ?
– Une frontière qui ne donne pas de souci. De l’autre côté, il y a un grand désert.
– Un désert?
– Un désert effectivement, des pierres et de la terre desséchée, on l’appelle le désert des Tartares.
– Pourquoi «des Tartares»? demanda Drogo. Il y avait donc des Tartares ?
– Autrefois, je crois. Mais c’est surtout une légende. Personne ne doit être passé par là, même durant les guerres de jadis.
– De sorte que le fort n’a jamais servi à rien ?
– A rien, dit le capitaine.
La route montant toujours, les arbres avaient disparu et il ne restait, çà et là, que de rares buissons ; quant au reste, ce n’étaient que champs grillés, rochers, éboulis de terre rouge.
– Pardon, mon capitaine, y a-t-il des agglomérations à proximité du fort ?
– A proximité, non. Il y a San Rocco, mais il faut bien compter une trentaine de kilomètres.
– Alors, je suppose qu’il n’y a pas beaucoup de distractions.
– Pas beaucoup, non, pas beaucoup effectivement.
L’air avait fraîchi, les flancs des montagnes s’arrondissaient, faisant présager les crêtes finales.
– Et on ne s’y ennuie pas, mon capitaine ? demanda Giovanni d’un ton de confidence, riant comme pour donner à entendre que cela lui importait peu, à lui.
– On s’y fait, répondit Ortiz.
Et il ajouta, avec un reproche déguisé :
– Moi, j’y suis depuis bientôt dix-huit ans. Non, je me trompe, depuis dix-huit ans révolus.
– Dix-huit ans ? fit Giovanni, impressionné.
– Dix-huit, répondit le capitaine.
Un vol de corbeaux passa, rasa les deux officiers et s’enfonça dans les profondeurs de la vallée.
Post scriptum Les plus anciens de mes lecteurs se souviennent peut-être de ma première publication de ce texte, le 24 juillet 2007.
Dans un récent billet, vous prétendiez ne pas vous intéresser du tout à la littérature…
La première chose que je voulais voir à Paris se trouvait au Muséum d’histoire naturelle: les axolotls qui fascinaient le narrateur de K de Dino Buzzati. Ces petites bestioles de science fiction ne m’ont jamais quittées. Je vais relire le désert des Tartares, car je ne saisis pas bien le sens du post de ce jour.
Fort intérieur
» Tous les dragons de notre vie sont peut être des princesses souffrantes qui ne demandent qu’à être délivrées. »
L ‘ombre de Buzzati hante perpétuellement et lèche les murs érigés de lois ou de pierres par des hommes sans distraction et sans rêves….
PS : » tous les dragons… »
citation de Jacques Rivette dans son film, 36 Vues du pic Saint Loup.
Les axolotls, lovely ? Vous êtes sûr(e) de ne pas confondre avec Julio Cortazar (Les Armes secrètes) ?
Les tartares comme Olivennes ne font toujours que passer!
Que changent-ils? Le fort reste fort, le dézert zert, le sable sable, le soleil veille et le couchant chante.
Si le steak aujourd’hui on le fait de thon.
Zangra
http://www.youtube.com/watch?v=b5cPA5vuCLo
Je n’ai pas écrit que je ne m’intéresse pas à la littérature ! Ce serait le comble pour un éditeur. J’ai écrit que je n’avais pas lu les Classiques et que j’ai des lacunes énormes.
Mais qu’appelle-t-on lire ?
http://leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2514
Je l’ai lu et j’ai souffert. Peut-être que je l’ai lu trop jeune d’ailleurs, avoir une mère, ex sciences po, ex prof de français, ex latin, ex, ex, et avoir un penchant pour la littérature, c’est à coup sur un joli passeport pour des livres lus à contretemps :p
Bref, le désert des tartares ou l’art de l’attente, l’art de l’espérance tout court, ou désespérée.
Vous attendez quoi Guy ?
Personne ne sait ce qu’il attend.
Ce blog est trop intellectuel pour moi.
Ces Tartares n’ont aucun intérêt. Je préfère m’intéresser à ceux-là…http://www.cuisine-et-saveur.com/dossiers/15/tartares-et-carpaccios.html
Personne ne sait ce qu’il attend. Chacun sait ce qui l’attend.
J’aime beaucoup le proverbe égyptien du jour. Mais c’est surtout le poisson qui n’a pas de chance.
il faudrait peut etre que je le relise. je crois l avoir deja lu.