J’aime céder la place à ceux qui ont envie d’écrire. Un texte d’Eva Roque (et un dessin de mon Yves)…
J’aime céder la place à ceux qui ont envie d’écrire. Un texte d’Eva Roque (et un dessin de mon Yves)…
(…)
La FNAC étant fermée le dimanche, contrairement à Ikéa – ma passion dominicale, car oui, j’adore voir les couples s’engueuler pour une couleur, un tiroir cuisine ou cette bibliothèque Billy qui n’entrera pas dans le salon – j’ai pris mon courage à deux mains et hop, c’est parti pour un samedi dans le supermarché de la culture.
Objectif du jour : acheter un disque (de jazz).
Parce que ITunes, c’est bien et j’avoue céder à cette facilité de l’achat en ligne avec délectation, mais le digital a ses limites.
-
Quand je serai morte (le plus tard possible), comment léguer ma discothèque virtuelle ? Quid de ces albums planqués dans mon ordi, mon ipod, mon ipad ? (oui, je suis une fille connectée…)? Donc, j’avoue quelques visites dans ce temple de la FNAC pour acquérir des cd. Des vrais. Ceux qui viennent s’entasser sur mes étagères. Parce que j’aime avoir du mal à enlever ce putain de film plastique qui les recouvre. J’aime lire les livrets, scruter les remerciements, écorner le dit livret en tentant de le refaire glisser sous ses minuscules languettes plastique…
-
Rien ne me fait plus plaisir que d’offrir un disque. Ou un livre. La carte Itunes prépayée, c’est bien, mais pas hyper sexy. Imaginez la scène : « Tiens, chéri, pour ton anniversaire, je t’offre une carte Itunes ». Non. Je refuse. Alors va, pour un samedi à la FNAC.
Il est 15h. Heure d’affluence.
Enfin… Paraît-il…
Premier constat, l’organisation du magasin n’a rien à envier à Ikéa. Quasi obligée de passer dans tous les rayons, des cabas qui vous tendent les bras à chaque recoin, assez grands pour être sûr de mettre plein de trucs dedans. C’est culturel, ne culpabilisons pas.
Me voilà aux rayons disques.
Me voilà, seule, aux rayons disques.
J’ai vaguement vu trois clients. J’ai pris mon temps pour les compter.
La surface du secteur musique a largement rapetissé. Comme l’appartement de Colin dans L’écume des jours… A se demander si un cancer n’a pas attaqué le marché du disque.
Jazz, variété française ou pop anglaise. Même scénario. Personne.
Y’a quand même des trésors dans ce lieu. Mes mains glissent sur un 33 tours de Thélonious Monk (STOP : oui ça existe encore les 33 tours. Et non, je ne suis pas si vieille).
Je scrute l’objet, le caresse, imagine la session d’enregistrement dans un studio de New York… Je divague pendant que la voix de Stacey Kent résonne. C’est plus facile à vendre que Thélonious. Du easy listening comme disent les marketeux.
Quant tout à coup, une voix dans mon oreille me dit : « vous devriez l’acheter. La qualité du son est remarquable. Si vous voulez je vous explique la différence entre ce disque et celui-là » (ami lecteur, il s’agissait du même disque. En apparence. Seule une petite étiquette les différenciaient. Un autocollant indiquant « digital sound »).
Le vendeur du rayon jazz a un tête de mec qui aime le jazz. Ses doigts battent la mesure devant l’écran de l’ordinateur. Il a de petites lunettes d’intello, les yeux qui brillent quand je lui dis que j’ai eu la chance de rencontrer Sonny Rollins. Et un sourire malicieux.
On a pris le temps de se parler. De jazz. De la vie. Sans intellectualiser. Simplement partager des émotions.
A aucun moment, un client n’est venu nous interrompre. Il n’y avait personne. Sauf nous, sous les lumières crues du magasin.
J’ai poursuivi ma balade conso-culturelle au rayon livre. Impossible de trouver le bouquin que je cherchais, Les derniers jours d’Albert Camus. Deux jeunes femmes posées derrière leur écran attendaient que les cultureux que nous sommes leur demandent un renseignement.
« Bonjour, désolée de vous déranger (j’avoue avoir souri en prononçant ces mots, parce que de toute évidence, ce n’était pas le cas), je ne me souviens plus de l’auteur de ce livre. Vous pourriez m’aider ? ».
La première a tapé sur son ordinateur. Deux secondes d’attente.
La deuxième a filé dans le rayon.
15 secondes plus tard, l’essai de José Lenzini rejoignait Thélonious Monk dans le cabas…
J’ai agrémenté ces achats de cinq livres et deux séries américaines. En me disant que c’était toujours mieux que ces bougies que j’achetais systématiquement chez Ikéa alors même que mon placard regorgent de ces ronds appelés communément chauffe plats et que je n’ai JAMAIS utilisé à des fins culinaires.
Il ne me restait plus qu’à passer au douloureux rayon « caisse ».
Non sans avoir traversé les dernières coursives.
– Celle des jeux vidéos où, il m’aurait été impossible d’avoir une conversation avec un vendeur. L’affluence du samedi était là… Devant les écrans géants, manettes en main avec des explosions de partout. Du bruit. Beaucoup de bruit.
– Celle de la papeterie. Carnets, stylos, papiers à lettre (qui achète encore ça ?)… Le rayon de tous les dangers pour moi, je le concède. Ne pas toucher au risque de tout acheter. Tout. J’ai lutté. Et craqué sur 5 stylos feutres noir. Mais aucun carnet. Cela mérite des applaudissements.
La caisse n’était plus très loin.
Sauf que mon regard s’est fait choppé par une touche de couleur.
Une jolie machine à café…
Même si Darty n’est pas loin dans le quartier, je suis certaine que les murs ne sont pourtant pas mitoyens…
Boire un café en lisant ou en écoutant un disque, n’est pas une ineptie me direz-vous. Alors pourquoi pas vendre des machines à café finalement.
En revanche, je cherche toujours une explication à la présence de ce Topchips pour réaliser « des chips croustillantes sans huile » (c’est l’étiquette qui le dit) ou à ce Lékué, un moule pour fondant au chocolat…
Culinaire
Culturel
Une histoire de cul…
Une chose est sûre : Monsieur FNAC, vous êtes un coquin…Tendance pervers. Mon 33 tours de Thélonious Monk a bien failli casser sous le poids d’un… aspirateur pour voiture.
Si, si.
Un truc très pratique semble-t-il (je tiens à préciser que j’ai bien une voiture. Quand même). Puissant, facile à ranger et qui se recharge rapidement.
Monk et Camus me regardaient, un sourire narquois sur leur visage. Et une petite voix me répétant (pas celle du vendeur du rayon jazz. Une autre. Moins agréable) : « n’achète pas cet aspirateur. Ca sert autant que les chauffe plats de chez Ikéa. Et ta voiture est une poubelle ambulante. Aucune raison que cela ne change ».
Pas faux.
J’ai pressé le pas vers les caisses.
En me demandant si je ne commettais pas une erreur en n’achetant pas cet aspirateur.
Là aussi, c’était affluence. Car Monsieur FNAC le pervers a trouvé un autre truc. Il aime bien que les clients fassent la queue.
Le panneau « caisse ouverte » se fait donc rare, et dans la file d’attente, voici le temps de découvrir la nouvelle littérature du moment : des livres sous forme de pot de Nutella, de Vache qui rit ou encore de tablettes en chocolat Nestlé avec à l’intérieur des recettes de cuisine à réaliser avec les dites marques. Sinon c’est pas rigolo.
J’ai encore failli céder.
Mais non.
J’ai pensé à Monk. Au vendeur de jazz si gentil qui s’ennuyait. Aux mots de Camus qui m’attendaient. Aux deux filles du rayon livres qui préféraient peut-être Sartre ou Marc Lévy.
J’ai pensé aux murs du magasin qui rapetissaient. A ma bibliothèque qui grossissait. Et à qui profiteraient mes achats culturels quand je ne serai plus de ce monde…
Merci pour ce bon moment de lecture. Je m’y voyais et c’était bien agréable. Je ne donne pas mon avis sur l’illustration, car comme le sais Yves, je suis daltonien… Encore bravo, et merci beaucoup!!! 🙂
applaudissements
Quand c’est le capharnaüm à la maison,
l’envie de faire le ménage point très souvent !
Aux deux filles du rayon livres qui préféraient peut-être Sartre ou Marc Lévy.
C’est marrant ce rapport qu’on a aux vendeurs. Le malaise léger qu’on a, cette impression vaguement gênante de se dévoiler, la peur de heurter les goûts de l’ « autre » en lui révélant ses propres goûts. Bon dit autrement, de passer pour une con, une pédante qui frime, une victime de la mode. C’est lié à notre rapport aux objets culturels qu’on voit comme un prolongement de nous, une extension, une annexe, une affirmation de sa personnalité. Un dévoilement de son âme. On veut bien l’aérer mais dans le rayon du magasin, c’est déplacé. Que va penser le vendeur?
merci pour ce texte.
Tout ça très bien…
Toutefois, informer le dessinateur qu’il s’agit d’une bétonnière, et non pas une bétonneuse.
Le fossé est décidemment grand…
Je suis allé à la Fnac acheter la Foule, de King Vidor, ressorti en DVD en version restaurée en septembre. J’avais fait un tour en ligne sur le site du magasin, le dvd était annoncé pour plus tard. Le gros site concurrent, homonyme d’une large forêt sud américaine, l’annonçait pour la bonne date et il y avait un visuel, absent sur fnac.com
Je ne le trouve pas en rayon, classé par réalisateurs (les vieux films, c’est classé par réalisateur, les films moderne, c’est classé par titre, allez comprendre). Je vais voir un vendeur à une caisse, qui me demande comment s’écrit King Vidor. No comment. Son écran mouline, et il me dit d’aller chercher dans les réalisateurs. Je lui explique que j’en viens. Il retapote, et me désigne du doigt un secteur « films en noir et blanc », admettant implicitement qu’il m’avait dit n’importe quoi 20 secondes avant. Titre, réal, noir et blanc, ca devient complexe de trouver un film… Je pars plein d’espoir, mais non, pas de king Vidor à cette adresse. Je reviens, je vois que je le dérange, il appelle un autre collègue. C’est fou ça, un client qui veut vraiment acheter un dvd, on a pas idée ! L’autre a alors l’idée d’aller voir le visuel sur fnac.com (« c’est comme ça que je me souviens des titres » me dit-il). Je l’arrête, lui explique que le visuel n’y figure pas, mais qu’il est sur le site amazonien. Et nous voilà en ligne sur ledit site concurrent, tranquillou. On finit par voir l’objet (tout ça, je l’avais fait depuis chez moi sans les attendre), et là il voit enfin de quoi je lui parle depuis 5 minutes, me regarde de haut et me dit d’un ton condescendant : « mais c’est bien sûr, c’est dans le rayon film muet, vous n’y êtes pas allé?, je le vois d’ici! ». Et c’est donc sous cette quatrième (!!!) modalité de classement que je finis par le trouver. A aucun moment un de ces vendeurs ne m’a semblé connaître ce film, qui venait de ressortit dans une belle édition, et à aucun moment un vendeur ne s’est levé pour m’aider à chercher en rayon.
Alors la culture et la passion du service des vendeurs fnac, next!
Bétonneuse, ça se dit… chez ceux qui s’en servent et qui n’ont pas le sentiment de commettre un barbarisme.
Le fossé est décidément grand… avec le populo.
Un texte magnifique ! Bravo Eva… Fnac Rennes et Darty Montparnasse ?
Si oui nous sommes scotchés aux mêmes dealers !
Je conseille cette thérapie : http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=OMmeNsmQaFw
Yves a assuré comme un fou, mais il est vrai qu’il ignore la distinction entre « bétonneuse » et « bétonnière », c’est un auteur culte, mais inculte en même temps !
Yves si tu m’entends, tu sais combien je t’aime, en tout bien toute horreur !
Clafoutis… Rien…
Mais pourquoi ce type qui a besoin d’un mode d’emploi saurait si on dit béton truc ou béton chose? Un personnage n’a pas le droit de se tromper de mot sans qu’on accuse l’auteur?
A l’origine la FNAC « Fédération nationale d’achat des cadres » vendait des appareils photos et les radios etc : les produits bruns dans les locaux du Bd de Sebastopol elle a vendue ensuite les produits blancs:lave linge etc, les livres et disques sont arrivés bien plus tard.
C’est donc un juste retour aux origines…
Mon épicerie favorite a toujours en rayon les meilleurs produits…Comme cet article par exemple …Merci
Patrice : FNAC Ternes un samedi après-midi. Oui, je suis une kamikaze. Merci à tous pour vos messages. Merci à Guy. Et à Yves pour sa bétonnière-bétonneuse…
Un texte vraiment intéressant Eva ! Je connais la FNAC Ternes, à côté de la rue Poncelet… J’ai connu aussi la FNAC Sébastopol, dans les sixties !