La ficelle de Melville

Je me suis dit qu’il ne devait pas encore parler.

Elle était devant moi dans la boulangerie. Avec son petit garçon dans les bras. Très Parisienne, tendance 18ème ou 20ème arrondissement. Très bobo, juste arrivée en vacances au bord de la mer.  Avec ses lunettes bien trop rectangulaires règlementaires. Son trench avec un étrange gros bouton solitaire dans le dos. Ses jambes nues. Et, touche finale, ses tongs.

Il ne devait pas être loin de 9 heures du matin. J’attendais derrière elle. Tranquillement.

Elle a demandé au petit blond dans ses bras ce qu’il voulait manger pour son petit-déjeuner (« le plus important des repas » qu’elle a ajouté).

Il n’a rien répondu.

« Un pain aux raisins. Un croissant. Un pain au chocolat. Un pain au lait… »

Il n’a rien répondu.

Je me suis dit qu’il ne devait pas encore parler.

Puis, rationnel, j’ai pensé que s’il ne parlait pas, sa mère ne lui poserait pas de question…

Elle l’a de nouveau interrogé.

L’enfant a alors maugréé quelque chose d’incompréhensible.

Un peu tendue, elle a décidé de choisir à sa place.

Elle était assez indécise.

Et s’y est repris à deux ou trois fois…

« Non finalement pas ça. Oui, ça là. Cette ficelle de campagne ».

Une espèce de ficelle de campagne, effectivement, située bien plus bas dans les paniers de la boulangerie.

Pendant qu’elle finissait, une autre boulangère m’a servi.

J’ai alors perdu le fil (pas la ficelle).

J’ai terminé l’achat rapide du croissant et du pain au lait.

J’ai payé.

Je suis sorti.

À l’extérieur un grand type à lunettes rectangulaires attendait.

La trentaine.

Monsieur bobo forcément.

En tongs, lui aussi.

Avec une sorte de pantalon noir.

Comme en portent ceux qui pratiquent des arts martiaux.

Un drôle de bonnet.

Et une sorte d’écharpe.

J’allais partir quand elle est sortie.

J’ai alors entendu le prénom de l’enfant qui n’avait rien voulu choisir…

On ne devrait pas avoir le droit d’appeler son fils Melville.

 

Le texte original titré « La ficelle » date du 29 juillet 2007.

5 Commentaires

  1. Melville, c’est joli pourtant…
    Je passe a l’épicerie, j’avais envie de sourire ce matin. La nuit fut courte, des éclats de lumière porteurs de larmes, ont illuminé ma nuit. J’avais envie de sourire. J’ai vu cette femme, son bébé dans les bras, le petit Melville. J’ai trouvé beau qu’un enfant s’en fiche de manger une chocolatine ou un pain au raisin. J’ai trouvé beau qu’une maman en tong, ne soit préoccupée que par ça. J’ai souri.

  2. Rien à voir avec la choucroute mais ça me faisait plaisir de te poster ça :
    https://youtu.be/ransFQVzf6c

  3. « I would prefer not to » call that a pain au chocolat, it’s a chocolatine.

  4. But Melvil Poupaud !

    Pauvre maman, c’est pas une super crack?

    But « There is a crack in everything. That’s how the light gets in »

  5. 😉

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