Lost in Béthune

Histoire Belge

Charline Vanhoenacker est une journaliste belge. Elle est correspondante à Paris pour la RTBF. Elle a vécu, vendredi, une « aventure » ferroviaire que j’ai pu suivre sur Twitter. Je lui ai demandé de la raconter. Elle l’a fait…

Charline Vanhoenacker est une journaliste belge. Elle est correspondante à Paris pour la RTBF. Elle a vécu, vendredi, une « aventure » ferroviaire que j’ai pu suivre sur Twitter. Je lui ai demandé de la raconter. Elle l’a fait…

(…)

Ah la France des petites villes au nom illustre, et néanmoins méconnues ! Il n’y a que le hasard du destin, parfois aidé par la SNCF, pour vous y emmener. Surtout un vendredi soir, 21h30. « Notre train entrera dans quelques minutes en gare de Béthune » HEIN ? QUOI ? On n’est pas à Valenciennes ? « Ah non, après c’est Hazebrouck, puis Dunkerke. » Me voici donc à Béthune, dont je ne connais le nom que pour son bourreau, qui fort heureusement, était un catcheur.

BÉ-THUNE ! Sur le quai noir et désert, je tente d’analyser ce qui m’a échappé. D’abord, je suis Belge et blonde, ce qui explique déjà beaucoup de choses d’après mes amis français. Ensuite, « force est de constater », comme diraient vos gendarmes, que je suis montée dans le mauvais train à Paris Nord. Je me souviens de cette phrase dans les haut-parleurs : « Les premières voitures sont en direction de Valenciennes, les dernières vont à Dunkerke. » J’ai donc pris soin de monter dans LA première voiture pour mettre toutes les chances de mon côté. Oui mais voilà : l’exception culturelle française ! Les voitures arrivent à Paris Nord telles le tiercé à Vincennes : dans le désordre. Et à Arras, les rames se séparent, emmenant chacun vers son destin pour le week-end. Le mien était écrit : « Tu visiteras Béthune. »

Comme c’est original, cette parenthèse inattendue dans une charmante bourgade du Nord. Ca doit être forcément charmant, si Bernard Tapie était si pressé d’y arriver à l’époque de l’affaire OM/VA. Certes, l’on m’attend à Valenciennes, mais à 21h30, il n’y a plus de train dans les zones de la France bucolique, alors allons voir le clair de lune à Béthune. L’accueil dans le Nord est à la hauteur de sa réputation : délicate attention, le dernier employé de la gare attend que j’en sois sortie pour procéder à l’extinction des feux. Ce qui plonge l’entièreté de la place de la gare dans le noir. Heu, le bourreau de Béthune, c’était finalement bien un catcheur, non ?

Mon smartphone, un petit coup de Google, tout de même… Et puis un petit coup de Google map, tant qu’on y est, parce que je sens confusément un début de parfum d’iode : est-ce que je ne serais pas des fois sur la route de Calais ? Vu mon sens de l’orientation, je mets toutes les chances de mon côté pour ne pas me retrouver en Angleterre, en voulant regagner Valenciennes. Je cherche donc un bar, mais « ah c’est fermé à c’t’heure-ci, on ne fait plus que restaurant,  mais faut voir avec le chef si la cuisine est encore ouverte. »

Quel plaisir de se retrouver comme dans un film de Chabrol : quasi seule dans un restaurant de province. Une grande salle où le temps a laissé sa patine et quelques taches de vin rouge sur le mobilier ; des rideaux turquoise qui se remontent en formant une meringue ; un serveur aux chaussettes de sport blanches, qu’on devine rêches et boulochées, dans ses mocassins à glands.

Je suis tout de même bon public, parce que je viens d’une petite ville semblable, en Belgique. Pour moi, Béthune, « On dirait le sud / Le temps dure longtemps » (je confirme).

Comme il n’y a que cinq clients, dont une petite fille qui me fixe comme si elle regardait la télé, je perçois peu de conversations pour me distraire. Je live-tweete ma soirée, histoire de lancer préventivement quelques balises de détresse. Et j’entends un : « Chef, t’as remis de l’eau ? », qui indique que le cuistot ambitionne peut-être de réchauffer mon magret au bain-marie. En croisant le chef aux toilettes, dépourvues d’eau et d’électricité, je comprendrai plus tard qu’entre la cuisson de mon magret et celle d’un chicon, il fait des allers-retours pour remettre de l’eau dans les cuvettes des WC. Sur le rebord de l’évier, une bouteille de Badoit avec une pompe de Pousse-mousse à la place du bouchon m’indique que le robinet est hors-service depuis un certain temps. Donc, le chef, avec ses petits bras musclés, transbahute les seaux depuis la cuisine jusqu’aux toilettes. Mon magret commence à sentir le Canard WC.

C’est le moment où je choisis de mettre une option sur une chambre dans l’hôtel attenant. Mais le volet en plastique est baissé et indique en rouge, gras, police 80 « IL NOUS RESTE DES CHAMBRES DISPONIBLES », avec un numéro de téléphone à 10 chiffres ‒ je précise cet indice rassurant, parce que sur la facture du restaurant, le cachet est resté bloqué aux numéros à 8 chiffres.

C’est aussi le moment que je choisis pour appeler l’équipe de secours qui vient me chercher. En tapotant sur mon smartphone pour évaluer la distance avec la Wallonie (dans une ville qui me paraît du coup moins sinistrée malgré ses charbonnages figés), je constate que je me trouve à Béthune un soir d’OM/VA. Alors, de deux choses l’une : soit j’ai un flair terrible, et le journalisme dans la peau. Soit je cherche vraiment les ennuis. Bon, je vous laisse, je dois rentrer à Paris, et j’ai prévu une marge en cas de pépin.

Le blog de Charline

30 Commentaires

  1. « … et j’ai prévu une marge en cas de pépin. »

    Argh, la chute !
    What-eu-suspens !

    Merci à Charline Vanhoenacker pour cette délicieuse chronique impromptue,
    et bonjour à nos amis béthunois (dont le sens de l’humour est quasi proverbial)

  2. Charline… Tu es géniale…

  3. Charline,

    Merci pour le talent comique qui m’a provoqué une belle crise de fou rire depuis le fameux bourreau de Béthune, en passant par les rideaux turquoise en forme meringuée jusqu’au magret de canard WC 🙂
    Ça m’a rappelé un article lu il y a de nombreuses années et écrit par Gildas Bourdet (ancien directeur du théâtre national Nord Pas de Calais): sa description de l’atmosphère Chti dans un restaurant Flunch le dimanche n’était pas triste non plus 🙂

  4. C’est parce-qu’elle est belge et blonde que son histoire a droit aux honneurs de l’épicier. Du cul aurait alimenté le propos. Bref. Il fait beau.

  5. Lovely, j’attends vos œuvres avec intérêt… Depuis longtemps.

  6. Oui ! Du bon gros scandale à s’enfoncer dans la glotte, pour recracher de l’indignation ! L’anorexie mentale a son public, aussi…

  7. Savoureux. Le serveur aux chaussettes de sport blanches et mocassins à glands, drôlissime 🙂

  8. « Rêches et boulochées », les chaussettes ! Ce détail m’a frappé aussi, entre autres 😉

  9. Ch’ai pas moi, mais une digression vers cauchemar en cuisine avec un cuistot taillé comme un frigo en sueur préparant sa spécialité de boulettes de cheval. Bref Guy aime les blondes et nous le fait savoir.

  10. Le seul souci, avec votre analyse percutante, Lovely, c’est que je ne connais pas Charline… Alors que vous, je vous connais. C’est con quand même…

  11. @ Guy, argument peu pertinent, nous aussi on ne connaît pas la blonde belge égarée à Béthune. Le lundi on a envie que le taulier dynamite notre semaine. Bref c’était la minute blonde de Guy.

  12. Hum…

  13. Je suis béthunois, et ce billet m’a bien fait rire ! Je reconnais bien la description du restaurant Bernard qui se trouve pile en face de la gare de Béthune et qui n’accueille que les touristes en perdition dans sa déco figée dans les années 80. Je suis né en 81 et je crois me souvenir qu’il n’y a eu qu’un ravalement de façade…enfin quand je dit ça, c’était il y a bien 20 ans ! Je ne comprends même pas comment cet établissement fait pour être encore ouvert aujourd’hui vu sa faible fréquentation ! J’ajouterai en revanche que malheureusement Charline est très mal tombée et que Béthune regorge d’établissement de qualité, le soucis à l’heure actuelle c’est que le quartier de la gare est plutôt sinistré et qu’il ne faut pas hésiter à remonter un peu vers le centre ville.

  14. C’est étrange cette récurrence à tripoter son smartphone comme une espèce de doudou dés qu’on a un problème.
    Comme si ce dernier allait trouver toutes les solutions.

    Parler avec des humains, ça apporte aussi des réponses. Quelle tristesse finalement entre une journaliste qui préfère twitter plutôt que parler et une province indolente qui l’observe comme si elle était un lapin pris en pleins phares. Un drôle de lapin avec un smartphone greffé dans la main.
    Tétanisés et un peu autistes l’un et l’autre.
    Attention, le texte est drôle, jamais méchant et agréable à lire.
    Mais cette espèce d’esclavagisme du smartphone m’effraie un peu. Des gens qui dégainent leur téléphone au moindre pépin avant même d’essayer un simple contact humain, je trouve cela d’une tristesse terrible pour le genre humain. Commentateur de leur propre vie sans la vivre vraiment.

  15. As, j’adhère à votre remarque. Je me suis raccrochée à mon smartphone pour me géolocaliser, mais il n’y avait pas âme qui vive dans le quartier, et la solution la plus rapide, c’était Google. A Paris, je prends plaisir à aider les touristes, mais quand moi-même je suis perdue, je préfère poser la question à mon smartphone plutôt qu’aux gens pressés et trop souvent désagréables… C’est ainsi qu’on acquiert de mauvais réflexes. Pour vous rassurer, sachez que j’ai conversé avec un jeune client qui venait de se faire une entorse à la cheville, et avec le serveur, qui m’a raconté le phénomène des autostoppeurs, à cause de la faible fréquence des bus, du problème de l’emploi dans la région, etc. Enfin, il m’a confirmé que j’étais la seule voyageuse à sa connaissance qui s’était gourée de train pour atterrir dans son restaurant, ce qui aggrave mon cas.

  16. Je suis ravie que vous ne vous soyez méprise sur le sens de ma remarque.
    C’est sans doute, comme vous l’évoquez, le fruit de mauvais réflexes urbains. Se prendre des rebuffades un peu trop fréquentes.
    J’avoue que lorsque je vais à Paris, je prends avant tout un bon plan parce que l’autochtone est…euh…disons, peu coopératif.
    Mais ce réflexe marque autre chose à mon sens. Une forme de dépendance qui nous fait parfois oublier que le meilleur, celui qui nous sauve et nous unit n’est pas l’outil mais l’humain.
    Pour ma part ni smartphone ni GPS et il m’arrive d’être très blonde (mais pas belge, ce que je regrette parfois) (oui, je kiffe les belges et leur sens de l’humour) mais je m’en suis toujours sortie en rencontrant des gens incroyables que Google Map ne référencera jamais.
    C’est votre premier réflexe qui me rappelle le paradoxe d’Internet. A l’heure de l’hyper connection, on finit par se retrouver avec une espèce de désincarnation des rapports humains et finalement une grande solitude. Avec en bonus une maladie sociétale chronique: celle de vous vouloir tout maîtriser (temps, lieu, but) en un clic.
    Après je n’étais pas inquiète pour vous. Un bon journaliste va naturellement vers l’autre sinon il faut qu’il change de métier. Au plaisir de vous lire à nouveau.

    Ps: Merci Guy, un nouveau blog à mettre dans mon petit panier.

  17. Ai déjà entendu Charline V. chez Daniel Schnirelmann, elle
    est tout aussi inspirée à l’écrit et son interlude ferroviaire était bien plus sympathique que le mien, car je me trouvais dans le train ce dimanche qui s’arrêta plus de deux heures à Amboise ou une femme avait décidé de fuir violemment le monde….

  18. Ah, Béthune, son bourreau dans Alexandre Dumas, son Maximilien de dans l’histoire de France.

    Charles.
    Cela dit, arriver, pour la première fois, à Bruxelles-Midi pour un Français est aussi assez dépaysant. Enfin, je crois.

  19. Béthune, j’en garde de bons souvenirs de cette petite ville…
    Avant le bourreau … il y avait les amoureux de Béthune dans ce poème (anonyme ?) du Moyen Âge :

    « Ensemble mon ami et moi,
    En un bois près de Béthune,
    Nous allâmes jouant mardi
    Toute la nuit sous la lune
    Si bien que le jour se leva
    Et que l’alouette chanta
    Disant : « Ami, allons-nous en »
    Et il répond doucement :

    Il n’est point encore jour
    Savoureuse au corps gentil
    Que m’assiste l’Amour
    L’alouette nous a menti !

    Alors il se rapprocha de moi
    Et je ne fus pas rebelle
    Bien trois fois il m’embrassa,
    Je le fis moi aussi plus d’une
    Et cela ne m’ennuya pas
    Comme nous aurions voulu
    Que cette nuit durât cent nuits
    Et que plus jamais il n’eut à dire »

  20. Charles,

    Je ne connais pas le personnage d’Alexandre Dumas mais en bon chti je connaissais le prestige local du bourreau de Béthune auquel fait référence le billet 🙂
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ducrez

  21. Ceci dit nombre de catcheurs comme chéri bibi et ce bourreau de Béthune avaient sans nul doute empruntés leurs noms de scène à la littérature (Gaston Leroux, Alexandre Dumas)

  22. ♫Tout ça ne vaut pas un clair de lune à Maubeuge♪…
    Bonne semaine.

  23. 😉 Malbrouck,
    Ne sachant pas à quel « bourreau de Béthune » catcheur faisait référence, Charline Vanhoenacker, j’ai préféré botter en touche.

    En effet, Malbrouck avant votre lien vers Jacques Ducrez, pour moi le seul « bourreau de Béthune » catcheur que je connaissais est/était un ami de Jean-Marie Le Pen.

    Il serait bon d’ailleurs de savoir de quel « bourreau de Béthune » catcheur, la journaliste d’Outre-Quiévrain parlait, non? 😉

    Dites-nous Charline! 🙂

    Charles.

  24. Charles,

    Tu confonds avec un certain Robert Moreau qui avait pour pseudo « Freddy le bourreau de Béthune » !(ancien catcheur et garde du corps de Le Pen)
    quelle histoire ce bourreau de Béthune 🙂

  25. Cette histoire du bourreau de Béthune m’a permis de constater que Robert Moreau (ancien garde du corps de Le Pen) a sans doute été confondu avec l’autre puisque dans le livre du dernier garde du corps de Le Pen, Thierry Légier présente son prédécesseur comme le catcheur qui s’opposa à l’ange blanc ! C’est incroyable !
    http://books.google.fr/books?id=o5zKxAv6uM4C&pg=PT38&dq=robert+moreau+freddy+le+bourreau+de+bethune&hl=fr&sa=X&ei=4FojUeywMPDZ0QWVv4EQ&ved=0CDUQuwUwAA

    De deux choses l’une : soit les deux catcheurs se sont opposés à l’ange blanc ou alors on a voulu utiliser la renommée de l’un pour des raisons qui m’échappent !
    Mystère !!

  26. Je m’en remets au journalisme d’investigation pour démêler le vrai du faux : je déclare forfait 😉

  27. Il n’y a bien qu’un seul « bourreau de Béthune » catcheur, qui s’est effectivement opposé à l’Ange Blanc du temps des combats retransmis à la télévision et commentés par Roger Couderc. Il y avait aussi à l’époque Roger Ben Chemoul et Walter Bordes, Robert Duranton, Roger Delaporte (futur proprio de l’Élysée Montmartre). J’étais tout gamin, mais je m’en souviens encore.
    D’après Wikipédia, son vrai nom était Jacques Ducrez :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ducrez

    Le garde du corps de Le Pen, Robert Moreau se faisait appeler « Freddy, le bourreau de Béthune » quand il était catcheur. Mais il n’a rien avoir avec le catcheur historique.
    Voir ici la galerie de portraits des « vrais », ceux que commentait Roger Couderc :
    http://catchclubcognacais.wifeo.com/les-catcheurs-francais-des-annees-60-a-nos-jours.php

  28. Dunkerque !!!!!!!!!!!!!! Pas dunkerke.

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