Hier soir mon chauffeur de taxi avait « la rage ». Il le répétait à l’un de ses amis au téléphone quand je suis monté à son bord. J’ai rapidement compris qu’Ali (j’ai modifié son prénom) habitait Villiers-Le-Bel. Tout prêt de l’immeuble du plus jeune des deux enfants morts, ce dimanche, dans cette tragique collision qui occupe depuis tous nos médias.
Hier soir mon chauffeur de taxi avait « la rage ». Il le répétait à l’un de ses amis au téléphone quand je suis monté à son bord. J’ai rapidement compris qu’Ali (j’ai modifié son prénom) habitait Villiers-Le-Bel. Tout prêt de l’immeuble du plus jeune des deux enfants morts, ce dimanche, dans cette tragique collision qui occupe depuis tous nos médias.
(…)
Ali avait la télévision dans sa voiture et, une fois terminée sa conversation téléphonique, j’ai compris qu’il avait encore envie d’en parler et de parler.
Nous avons donc d’abord regardé ensemble le journal de 19 heures sur une chaîne d’information.
Peu importe laquelle.
« Clichy bis ».
« Clichy bis » scandaient, tels des slogans, les présentateurs et les envoyés spéciaux.
Deux fois, trois fois.
Cliché bis plutôt…
Ali, lui, avait simplement « honte ».
Je mets des guillemets à « honte » car c’étaient ses propres mots.
« J’ai honte »… me répétait-il en baissant la tête.
Alors, il m’a expliqué…
Sa honte de ce que les médias disaient et montraient de sa ville.
Celle où il a grandi et qu’il ne reconnaissait plus depuis 48 heures.
Sa honte de ne pas avoir réussi à forcer son petit frère à rentrer à la maison la nuit précédente plutôt que de harceler la police.
Sa honte de voir flamber son quartier.
Sa honte d’être chaque jour « montré du doigt ».
Du coup, Ali m’a confié son envie de quitter un pays – le notre – où des politiques s’emparent sans vergogne de tels drames pour immédiatement parler nuisances, délinquance, banlieues et évidemment immigration.
Des politiques et des médias aussi, à qui Ali reprochait de dériver immédiatement, sans attendre, du drame lui-même – la mort de deux gosses – pour embrayer sur de la politique. Le pire de la politique.
Ali m’a aussi dit, avec des mots tout simples, sa douleur profonde pour ces deux « petits » qu’il ne reverra jamais.
Et puis, tout à la fin, il m’a parlé des parents des victimes.
De leur souffrance.
De cette mère qui n’a ni voulu, ni pu rentrer chez elle s’occuper de ses autres enfants.
De ce père défait ne parvenant qu’à se frapper la tête contre les murs de son appartement.
De ce corps resté dans l’ambulance quand des parents faisaient le tour des hopitaux…
Et là, c’est moi qui ai eu honte du mal supplémentaire causé.
Par notre regard.
Nos discours
Nos caméras.
Nos appareils photos
Nos commentaires.
Nos comparaisons.
Notre indifférence.
Et à distance « respectable », toujours, du cloaque où nous laissons pourrir nos enfants. Oui nos enfants.
J’ai pris l’intrusion de ce quotidien qui n’est pas le mien en pleine tête.
Moi, j’étais simplement dans le taxi d’Ali parce que je partais « tourner » dans une émission de télévision, sur un bateau, sur la Seine…
Bien sûr, je sais depuis longtemps que chacun a son chemin, son histoire, ses engagements. Parfois inutiles. Parfois vains.
Nous nous sommes donc juste croisés, Ali et moi.
Par hasard.
Mais ce croisement, je ne l’oublierai pas.
0 commentaires
Trackbacks/Pingbacks